Ce 12 août, au moins 6 personnes sont décédées dans la Manche, une à deux personnes sont encore portées disparues, et l’on dénombre 58 rescapés de ce naufrage. À peine huit mois après le naufrage du 14/12/2022 qui a coûté la vie à 4 personnes et 2 ans après les 31 décès du 24/11/2021, l’État se cache à nouveau derrière les passeurs, alors que sa politique sécuritaire démontre chaque jour son propre échec et sa responsabilité directe dans ces drames. 

La première ministre réagit sur X (anciennement Twitter) “ Je salue l’engagement des équipes de secours mobilisées autour de la @MarineNationale qui ont permis de sauver une cinquantaine de naufragés.” Une réponse consensuelle à l’actualité qui omet la responsabilité du gouvernement dans cette tragédie. En renouvelant des accords bilatéraux franco-britannique, les États perpétuent une politique de “bunkerisation” de la frontière, ayant pour conséquence directe l’augmentation des prises de risques par les candidats à l’exil au Royaume-Uni. 

Selon le rapport d’enquête “30 ans de politique de dissuasion” paru le 4/02 de cette année ; depuis 2017, 425 millions d’euros de financements britanniques ont été déployés pour accroître les dispositifs répressifs sur le littoral. Des infrastructures et un arsenal policier qui oublient la détermination de celles et ceux qui arrivent à la frontière avec une longue histoire d’exil, qui ont entrepris les routes migratoires les plus dangereuses, connu la torture en Libye, la faim, la guerre, pour venir trouver une vie meilleure, et qui ne feront pas demi-tour.

Les expulsions quasi-quotidiennes des lieux de vie informels, le manque d’accès aux droits fondamentaux, les barbelés, les drones, l’installation de rochers et de barrière flottante ne peuvent rien contre les arrivées en France ni contre les départs vers l’Angleterre : 2057 personnes sont passées au Royaume-Uni par bateau de fortune depuis le 4 août. En résulte en revanche des départs de small boat depuis toujours plus loin sur la côte, de la frontière belge jusqu’à Berck, augmentant énormément les risques liés au passage. Ce phénomène n’est pas anodin : il est la conséquence de la répression accrue par les forces de l’ordre lors des empêchements des départs. Ces dernières semaines, lors de leurs maraudes de nuits, les équipes d’Utopia 56 ont recueilli plusieurs témoignages de violences policières : 

  • Le 3 août, un père de famille nous raconte que des familles et des enfants ont été gazés et victimes de violences physiques par la police lors d’une tentative de départ en bateau. Un autre homme nous rapporte qu’une personne a été blessée par l’utilisation d’un flash ball.

  • La nuit du 4 au 5 août, parmi les presque 200 personnes rencontrées sur le littoral, les témoignages de violence perpétrée par les forces de l’ordre fleurissent : bateaux lacérés alors que des personnes étaient à bord et utilisation de gaz lacrymogène. Six personnes ont été blessées par LBD, nécessitant l’intervention du SAMU, dont une gravement.

  • Entre la nuit du 9 et du 10 août, des personnes arrêtées par la police à proximité du Touquet dont des femmes et des enfants, rapportent avoir été victimes de gaz lacrymogène et avoir été menacés lorsqu’ils s’apprêtaient à filmer les FDO. Chassé par la gendarmerie, un enfant se serait blessé à la tête en tombant à terre, les forces de l’ordre auraient attendu une heure avant d’appeler les secours.
     
  • La nuit du naufrage du 12 août, nous avons rencontré presque 200 personnes en détresse suite à des tentatives de traversée. Pour 75 personnes mouillées rencontrées dans le centre-ville de Calais, nous avons alerté les autorités. Comme souvent, aucune prise en charge humanitaire ne leur a été proposée : refus d’envoyer la Protection Civile et de mettre en place une mise à l’abri d’urgence. Le même groupe nous a rapporté que, quelques heures avant, la police les avait gazés et chassés sur la plage de Sangatte

Pour toutes ces situations, l’association Utopia 56 saisit le Défenseur des droits et l’IGPN. Malheureusement, ces saisines restent symboliques dans la mesure où ces violences policières ne sont pas des bavures, mais bien le résultat de directives répressives. Non seulement ces politiques pour empêcher les traversées dans la Manche sont inefficaces, mais elles sont également meurtrières. Depuis 1999, au moins 376 personnes ont perdu la vie à la frontière franco-britannique. Sans la mise en place de voies sûres et une réelle politique d’accueil en faveur de la dignité humaine, le nombre de décès ne fera qu’augmenter, engageant la responsabilité personnelle des décideurs politiques face à ce drame humanitaire.