Dans un article du 28 juillet 2022, sollicitée par la presse, Utopia 56 parlait des évaluations menées par le Département d’Indre-et-Loire. Nous parlons d’évaluations à charge” car le doute ne profite pas aux jeunes. En effet, d’après la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant et d’après le Guide des bonnes pratiques en matière d’évaluation de la minorité et de l’isolement élaboré par les ministères de la Justice, de l’Intérieur et des Solidarités et de la Santé, “si le doute persiste au vu de l’ensemble des éléments recueillis, le doute sur la minorité doit profiter à l’intéressé”.
Il semblerait que Mr Paumier, président du Conseil Départemental (qui refuse de rencontrer les associations d’aide aux Mineurs Non Accompagnés depuis plusieurs années) ait souhaité répondre à cet article de la Nouvelle République par le biais de la page Facebook du Département et par voie de presse, en affirmant que “les évaluations réalisées par le Conseil Départemental pour les mineurs non accompagnés sont neutres et objectives. […]Elles sont conduites par 5 professionnels formés à cet effet, lors d’un entretien individuel à l’appui d’une grille qui répond aux obligations réglementaires, aux recommandations du Guide des bonnes pratiques en matière d’évaluation de la minorité. […]Un interprète médiateur peut être sollicité si la personne ne parle pas français.
Chaque évaluation se déroule à l’issue d’un temps de répit de minimum 5 jours durant lequel la personne a pu bénéficier d’un bilan de santé médico-psychologique.”
Nous pensons qu’il est important de compléter nos propos et de répondre à Mr Paumier, sur les évaluations menées par le département d’Indre et Loire :
- pour certain.e.s jeunes, qui se présentent sans documents d’identité, il leur est reproché de ne pouvoir justifier de leur identité. Cela reste un motif de refus par le Département.
L’UNICEF recommande qu’en cas d’absence de documents, les jeunes devraient être accompagnés par les autorités administratives et judiciaires dans la reconstitution de leur état civil conformément à l’article 8 de la Convention internationale des droits de l’enfant.
- pour certain.e.s jeunes, qui se présentent avec des documents d’identité, il leur est dit qu’ils ne peuvent justifier que les documents leur appartiennent ou le Département remet clairement en doute leur authenticité. Cela reste un motif de refus de minorité par le Département.
Pourtant, seule la PAF (Police Aux Frontières) a la possibilité d’émettre un avis quant à la véracité des documents.
L’UNICEF France recommande de mieux prendre en compte les documents d’état civil en sensibilisant les autorités aux dispositions garantissant la présomption de validité et au cadre légal dans lequel peut s’effectuer le renversement de cette présomption.
- Pour certains jeunes, un avis défavorable sur leurs documents d’identité suffit à les refuser. Or, le Guide des bonnes pratiques en matière d’évaluation de la minorité et de l’isolement préconise que “la possession de documents falsifiés ou appartenant à un tiers n’emporte pas à elle seule la preuve de la majorité de l’intéressé.” C’est parfois un passeur qui a fourni aux jeunes des documents d’identité, cela ne signifie pas pour autant qu’ils ne sont pas mineurs.
- L’isolement est parfois remis en cause alors que le jeune dit connaître quelqu’un sur Tours. Or, dans le cadre de la loi, l’isolement est le fait de ne pas avoir de représentant légal sur le territoire français (parents ou tuteur légal).
- Nous constatons fréquemment que la dimension culturelle n’est pas prise en compte lors des évaluations des jeunes, notamment dans des constats sur leur attitude durant l’évaluation.
Les témoignages des jeunes que nous recevons au local d’Utopia 56 Tours sont concordants à la suite de leur refus :
- On dit aux jeunes à la suite de l’évaluation que leur récit manque d’affect, de descriptions. Mais à l’inverse il peut leur être reproché d’être trop expressifs, de donner trop de détails, et dans ce cas leur récit “semble appris par coeur”.
- Des jugements sont émis par rapport à leur parcours “ce n’est pas possible que tu sois parti seul à ton âge”, “ce n’est pas possible que tu aies suivi en posant aussi peu de questions”.
- Ils ne reçoivent pas d’informations claires pour pouvoir faire un recours pour contester cette décision.
Il apparaît également lors des audiences des jeunes devant le Juge des Enfants que le Conseil Départemental d’Indre-et-Loire refuse de transmettre certaines informations :
- le Conseil Départemental refuse de donner aux professionnels de justice l’identité de l’interprète ayant réalisé l’évaluation,
- le Conseil Départemental ne rapporte pas la preuve que l’évaluateur a suivi la formation obligatoire de 21 heures ni d’attestation d’assiduité. D’après l’article 5 de l’arrêté du 20 novembre 2019 relatif à la qualification et formation de l’agent évaluateur, l’évaluation doit être réalisée par un agent formé. Dans le cas contraire, l’évaluation n’est pas conforme. Le Conseil départemental refuse également d’apporter davantage de précisions sur l’équipe qui aurait relu le rapport d’évaluation. Aucune preuve de la réunion de cette équipe n’est apportée. Or, l’article 6 de l’arrêté précédemment cité insiste sur le caractère pluridisciplinaire de l’évaluation sociale. Lorsque les entretiens n’ont été menés que par un évaluateur, l’évaluation ne respecte pas le principe de la pluridisciplinarité.
L’UNICEF rappelle que l’évaluation sociale, dont les modalités ont été redéfinies par l’arrêté du 20 novembre 2019, comporte de nombreux biais attenant à la formation des personnes en charge de l’évaluation, les conditions dans lesquelles sont menés les entretiens, le nombre d’entretiens ainsi que leur durée. L’extrême précision requise en ce qui concerne les détails spatio-temporels de leurs parcours et la chronologie des événements ne semble pas adaptée aux capacités des jeunes interrogés a fortiori lorsqu’ils n’ont pas bénéficié de mesures de protection satisfaisantes. L’évaluation « de l’apparence physique et du comportement de la personne évaluée » prévue par la réglementation est de nature à produire des interprétations subjectives.
La pluridisciplinarité suppose que l’équipe d’évaluation sociale soit composée d’au moins deux professionnels exerçant dans les domaines l’action socio-éducative, de l’action sociale, de la santé ou de la psychologie dont au moins un travailleur social diplômé d’Etat de niveau III ou supérieur.
Le Département d’Indre-et-Loire affirme que : “Chaque évaluation se déroule à l’issue d’un temps de répit de minimum 5 jours durant lequel la personne a pu bénéficier d’un bilan de santé médico-psychologique.”
Or les jeunes sont accompagnés à la Préfecture pour la prise d’empreinte du fichier AEM dans le délai des 5 jours. Étant donné que les empreintes sont un élément du faisceau d’indice de l’évaluation, on peut donc dire que les jeunes ne bénéficient pas d’un temps de répit de 5 jours.
De plus, malgré le fait que des démarches de santé soient entamées lors de la mise à l’abri, les jeunes ne voient pas de psychologue, alors que beaucoup d’entre elles.eux sont victimes de chocs post-traumatiques. Les questions des évaluations peuvent parfois replonger les jeunes dans des souvenirs traumatiques.
(voir rapport Santé mentale des MNA, Comède / MSF)
Nous invitons le Département, qui semble vouloir proposer des évaluations “neutres, objectives et bienveillantes”, à prendre connaissance des recommandations de l’UNICEF, et également des rapports sur la santé mentale des exilé.e.s.
Le Comité des droits de l’enfant rappelle «qu’il est impératif qu’il y ait une procédure équitable pour déterminer l’âge d’une personne, et qu’il y ait la possibilité de contester le résultat obtenu par le biais d’une procédure d’appel.
Pendant que ce processus est en cours, la personne doit se voir accorder le bénéfice du doute et être traitée comme un enfant.» Il considère également que « le plus grand risque est d’envoyer un mineur potentiel dans un centre qui n’héberge que des adultes. ».
Nous rappelons que les mises à la rue des jeunes en recours renforcent les situations d’errance et les expose à la traite et à l’exploitation. Le Département d’Indre-et-Loire remet également des jeunes filles à la rue.
Depuis 2017, plus de 50% des jeunes accompagnés dans leur recours par l’association Utopia 56 à Tours ont été reconnus mineurs à l’issue de la procédure de recours, ce qui laisse donc de forts doutes concernant l’objectivité des évaluations.
Nous ne nous attarderons pas sur l’étrange comparaison de Mr Paumier entre le coût des dépenses pour les MNA et la rénovation d’un collège (sur la page Facebook de Touraine, le département). Ce n’est pas la première fois que le président du Département d’Indre-et-Loire tient ce genre de discours, et nous déplorons ces méthodes de mise en opposition. La protection de l’enfance est une compétence du département, peu importe son coût.
Pour conclure, l’association Utopia 56 Tours qui héberge et accompagne les MNA en recours après la remise en doute de leur minorité et leur remise à la rue par le Département propose une nouvelle fois une rencontre avec le Conseil Départemental, la Mairie de Tours et la Préfecture afin de discuter de la situation des MNA à Tours.
Sources :
- Article NR du 28/07/2022 :
- Article NR du 01/08/2022 :
- Publication sur la page du département d’Indre et Loire :
https://www.facebook.com/departement37/photos/a.391184924290142/7774469955961565
- Recommandations de l’UNICEF :
- La santé mentale des MNA :
https://www.comede.org/wp-content/uploads/2021/11/rapport-sant%C3%A9-mentale-MNA-web.pdf