Le 26 juillet dernier, une personne décédait sur la plage d’Equihen, non loin de Calais, alors qu’elle tentait de rejoindre le Royaume-Uni à bord d’une embarcation de fortune. Les équipes d’Utopia 56 et de Médecins Sans Frontières étaient sur place.
Nous avons pu constater ce soir-là, pour la énième fois, les manquements d’un État dépassé par la situation, et dépendant des associations.
Récit de cette nuit de chaos, heure par heure.
– 26 juillet, 3h du matin. L’équipe de maraude vient de quitter Calais pour sa mission sur le littoral. La mer est plate, des traversées de la Manche sont attendues. L’équipe part à la rencontre de personnes qui auraient raté la traversée, pour leur apporter thé, soutien et vêtements secs.
– 3h06. Un message radio mentionne un bateau qui vient de prendre le large depuis la plage d’Equihen près de Boulogne-sur-Mer. L’équipe, accompagnée d’une infirmière et d’un médiateur interculturel de l’association Médecins Sans Frontières, décide de se rendre sur place. Sur la plage plongée dans l’obscurité, des cris au loin ne présagent rien de bon.
“Quand on descend sur la plage, on entend des cris au loin. On est plongés dans l’obscurité totale et on se prépare à une situation vraiment difficile. (…)
On croise plusieurs groupes de personnes en détresse médicale et psychologique. On voit toujours pas grand-chose. Elles semblent en état de choc, on les rassure comme on peut. Puis on voit un gendarme un peu plus loin en train de pratiquer un message cardiaque. À sa demande l’infirmière MSF reprend le massage. (…)
On demande aux gendarmes : “est-ce que les pompiers ont été appelés ? Sont-ils prévenus qu’il y a plusieurs blessés ? Est-ce que le protocole de protection civile a été déclenché ? Et on nous répond oui à toutes ces questions.”
– 5h. Après notre arrivée sur place, seulement deux pompiers en tenue de plongée arrivent, malgré la dizaine de personnes en urgence médicale.
– 5h30. Une équipe du SMUR arrive à son tour.
– 6h. Un homme est déclaré décédé. La police nous interdit alors tout contact avec les personnes impliquées.
– 6h30. Le groupe est trempé, en état de choc, et la Protection Civile (mandatée par la Préfecture pour venir donner des vêtements secs notamment) n’est toujours pas arrivée.
– 7h. Un premier bus part avec une vingtaine de personnes vers l’hôtel de police. Entièrement mouillées, elles n’ont toujours pas pu se changer.
– 8h. Un deuxième groupe part. Le reste des personnes sont assises dans leur couverture de survie, encerclées par la police sur le bord de la plage.
“Sur la plage, quand on attend les pompiers, on demande à plusieurs reprises aux gendarmes s’ils ont des couvertures de survie supplémentaires et chaque fois, ils nous répondent : “oui oui, ça va arriver” sauf qu’en fait, ce n’est jamais arrivé.
Après un temps qui nous semble interminable, les pompiers arrivent enfin mais ils sont très peu alors qu’il y a beaucoup de blessés dont une personne en arrêt cardiaque.
On ne comprend pas pourquoi ils ne sont pas plus nombreux. C’est nous qui indiquons où se trouvent les blessés et ce qu’ils ont. Ils ne semblent pas très au courant de la gravité de la situation. ”
“Après ça, on est sur le parking mis à distance des personnes qui, elles, sont encerclées par énormément de gendarmes. Elles sont mouillées et en état de choc.
Alors, on demande aux gendarmes si on peut donner des couvertures de survie et de l’eau car eux ne le font toujours pas. On nous dit non, on doit alors négocier pour pouvoir finalement les donner. La protection civile prend des heures à arriver, les gendarmes ne communiquent pas avec les personnes qui attendent debout dans le froid. Ils ne leur proposent aucune écoute, aucune aide. Ils refusent aussi qu’on donne du thé chaud et des biscuits. Ce qui nous choque aussi, c’est le moment où les personnes sont embarquées par la PAF sans un mot et sans avoir reçu aucune aide humanitaire avant.
De notre arrivée jusqu’au moment où les dernières personnes sont emmenées à l’hôtel de police, on n’observe et on ne ressent aucune humanité.“
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À chaque fenêtre météo sur le littoral, le même constat : l’État, incarné par ses services d’urgence, est dépassé par la situation. Bien souvent, il fait appel aux organisations présentes sur le littoral pour lui venir en aide.
Le 30 octobre 2024, sur une autre plage du littoral, quatre personnes décédaient alors que les secours, pourtant sur place, semblaient totalement dépassés.
Cette désorganisation des secours a un impact direct sur les personnes qui survivent sur le littoral : non prise en charge des besoins psychologiques, déshumanisation constante, manquements dans les droits des personnes mineures, etc.
Malgré elles, les associations, et notamment des équipes bénévoles, se retrouvent à intervenir comme des services d’urgence. Elles pallient, là encore, les manquements d’un État qui se vante d’avoir des solutions et des réponses adaptées, alors qu’il n’en est rien.