En 2024, au moins 142 personnes ont été poursuivies pour avoir aidé des exilés au sein de l’Union européenne, et 91 pour avoir franchi des frontières. Des chiffres qui augmentent chaque année selon le dernier rapport de PICUM (Platform for International Cooperation on Undocumented Migrants, un réseau européen regroupant plus de 150 organisations travaillant pour et avec les personnes en situation d’exil).
La majorité de ces personnes ont été inculpées selon une directive de 2002 sur l’aide à l’entrée, au transit et au séjour. C’est cette directive, que la Commission européenne propose aujourd’hui de revisiter avec la proposition COM(2023)755, ce qui pourrait avoir encore de graves conséquences.
L’objectif, selon la Commission, est de démanteler les réseaux de passages liés à l’immigration. Seulement, les termes manquent de précision. Au lieu de mieux contrôler cette criminalisation massive, cette nouvelle directive pourrait multiplier encore le nombre de personnes poursuivies, en créant de nouvelles infractions et en rendant plus difficile l’aide humanitaire.
Le projet est en effet d’augmenter les peines de prison et d’étendre le champ de ce qui est criminalisable, notamment en utilisant la notion de “bénéfice tiré” sans définir ce qui se cache derrière (une notion déjà instrumentalisée par le passé, par exemple dans le cadre du procès contre Cédric Herrou en France).
Qui risque d’être criminalisé selon cette nouvelle loi ?
Les personnes en situation d’exil
Une personne qui traverse une frontière de manière irrégulière, ou même un parent qui fuit une guerre avec ses enfants, pourrait être poursuivie et emprisonnée. Des cas comme celui d’un père qui a perdu son fils dans un naufrage et qui risque jusqu’à 10 ans de prison simplement pour avoir essayé de sauver sa vie pourraient devenir plus fréquents.
Les associations humanitaires et les ONG
Une association qui sauve des vies en mer, fournit de l’alimentation ou des conseils juridiques pourrait être poursuivie et écartée des financements publics. Les entraves sont déjà nombreuses : en Italie contre les navires de sauvetage humanitaire présents en Méditerranée par exemple, mais aussi en France contre les associations d’aide juridique jusqu’ici présentes dans les CRA, etc.
Les bénévoles et citoyens
Des bénévoles ou des citoyens pourraient être poursuivis. Distribution de nourriture, hébergement, conseils juridiques… des actions de solidarités basiques risqueraient d’être criminalisées, sur la base du “bénéfice tiré” pour l’action rendue (qui n’est pas toujours monétaire).
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La proposition de la Commission part du principe (sans preuves fondées) que l’une des causes de la migration serait les réseaux de passage existants et entend donc lutter contre ces réseaux dans le cadre des objectifs de gestion migratoire de l’UE.
Pourtant, les migrations sont bel et bien un fait de société, qui a toujours existé. C’est le manque, voir l’absence, de voies de passages sûres pour toutes et tous, qui poussent à l’immigration dite “irrégulière”. Les trafics qui se développent ne sont qu’une conséquence des politiques de non-accueil menées par les États membres.
Les personnes en exil, partout en Europe, survivent. Elles viennent chercher la sécurité et fuient bien souvent des guerres ou des régimes violents. Faute de voies de passage sûres, elles ont recours à des réseaux criminels dont elles sont les premières victimes. Criminaliser le passage irrégulier d’une frontière n’est pas une solution, et reviendrait à précariser encore et à mettre en danger ces personnes rendues vulnérables par leurs parcours.
Les bénévoles et associations qui apportent une aide nécessaire pourraient aussi être arrêtées et poursuivies dans l’état actuel du texte. L’aide à ces personnes, déjà portée à bout de bras par des citoyen·nes, faute de solutions proposées par les États, est essentielle. La mettre en porte-à-faux est aussi injuste que dangereux.
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Au vu de l’équilibre des forces actuel au Parlement européen et du climat international, on sait déjà que le texte va passer, mais pour essayer d’en limiter son impact, plusieurs organisations ont lancé des campagnes pour essayer d’introduire une exception humanitaire pour que les actes de solidarité ne puissent pas être punis à travers cette directive (une clause qui existait dans la directive de 2002, mais qui risque d’être retirée pour en laisser l’adoption à la discrétion des États membres : en gros “faites comme vous voulez”).
Qu’est-ce que je peux faire ?
Vous pouvez interpeller vos député·es européen·nes pour leur demander de rejeter cette directive ou de la modifier en profondeur :
- demander une exception humanitaire claire et contraignante,
- demander que les personnes ne soient pas poursuivies pour avoir traversé une frontière,
- demander la création de voies sûres à la place de cette répression.
Le processus législatif européen est long et complexe, alors c’est encore le moment d’agir !
Les étapes clés :
- La Commission propose une loi (c’est ce qui s’est passé avec cette directive).
- Le Conseil des ministres et le Parlement examinent la proposition. C’est à cette étape qu’on est actuellement ! Des députés sont en train de l’étudier dans différentes commissions.
- Les négociations commencent entre ces trois institutions.
- Le vote final approuve ou rejette la loi.
Chaque proposition passe par des commissions parlementaires spécialisées. Pour cette directive, c’est la commission LIBE (Libertés civiles, justice et affaires intérieures) qui la traite. Des rapporteurs y sont nommés pour étudier le texte en détail, proposer des modifications et préparer le rapport que liront tous les autres députés.
Ces rapporteurs sont extrêmement influents. Les modifications qu’ils proposent deviennent souvent la base de la version finale. Et à la commission LIBE, il y a la députée française Fabienne Keller qui est rapporteure, c’est pour cela que c’est vers elle qu’on propose de concentrer nos forces.
Interpelle la députée en quelques clics par ici (le mail est déjà tout prêt).
