Mercredi 14 décembre, un naufrage a eu lieu dans la Manche, causant la perte d’au moins 4 personnes et probablement de 4 autres encore portées disparues. Si l’implication et la responsabilité des secours doit encore être clarifiée, elle est et restera la résultante de l’ensemble des politiques mortifères menées aux frontières européennes depuis des années.  À l’image de l’ensemble des faits qu’ont pu constater les équipes terrain d’Utopia 56 pendant cette nuit-là.

Dans la nuit du 13 au 14 décembre, deux équipes d’Utopia 56 étaient mobilisées sur le terrain aux alentours de Dunkerque : l’équipe d’urgence d’Utopia 56 Grande-Synthe, munie d’un téléphone joignable 24h/24h pour répondre aux besoins des personnes exilées, et l’équipe de Maraude littorale qui circule la nuit sur la côte nord pour rencontrer des personnes qui pourraient être en détresse suite à des retours de naufrage ou des tentatives de passage manquées vers le Royaume-Uni. 

Sur cette seule nuit l’équipe d’urgence d’Utopia 56 Grande-Synthe a reçu 5 appels provenant d’embarcations dans la Manche dont 3 étaient en détresse, concernant le Bateau 1 dont l’alerte a été reçue à 00h50, les équipes ont reçu la confirmation à 10h00 du matin que les personnes étaient en sécurité, le Bateau 2 qui a alerté nos équipes à partir d’1h47 a appelé plus de 15 fois les secours sans que personne ne vienne, avant de regagner la côte par ses propres moyens malgré un bateau rempli d’eau.

Enfin le Bateau 3, pour lequel Utopia 56 a reçu un message vocal à 2h53, restera sans aucun secours jusqu’aux environs de 4h00. (CF annexe Bateau n°2 & 3 ). Un communiqué de la préfecture maritime de la Manche datant du 15 décembre reconnaît avoir reçu l’appel d’Utopia 56 à 03h02, puis le mail a 03h13 sans pour autant envoyer de secours avant le “mayday” envoyé par le MRCC (centre de secours anglais) à 04h21, soit plus d’une heure après. Entre temps, le CROSS s’est appuyé sur des navires de commerce et de pêche à proximité, coordonnant les « opérations » avec le MRCC qui de son côté, ne dit avoir reçu l’alerte qu’à 4h05.

C’est pour cette embarcation que nous déplorons au moins 4 victimes et 4 autres potentiellement disparu·es.

Pourquoi aucun secours n’est venu à l’aide du bateau 2 ? Pourquoi le déclenchement des interventions a été si long pour le bateau 3 ? Pourquoi s’être reposé sur des bateaux non spécialisés dans le secours en mer pendant presque une heure ? Rappelons-le, 31 des personnes secourues du bateau n°3 l’ont été par l’Arcturus BA 862 un navire de pêche Anglais.

Si toutes ces questions se posent quant à l’intervention des secours en mer, les défauts de prise en charge à terre inquiètent tout autant les associations : à 3h40 l’équipe d’urgence reçoit une nouvelle localisation envoyée par les personnes à bord du bateau 2, mais à terre cette fois-ci. En chemin pour les retrouver, l’équipe rencontre des CRS. Ces derniers leur diront avoir vu le groupe à terre, avoir appelé les pompiers pour des cas d’hypothermie. Pourtant, malgré l’arrivée des pompiers, les 40 personnes sont laissées trempées, choquées par la non-assistance en mer, transits par le froid, et à nouveau délaissés par des services d’urgence alors même que certains des enfants étant en sous-vêtements. C’est finalement les CRS qui sollicitent Utopia 56 pour leur venir en aide.

L’équipe retrouvera le groupe d’environ 40 personnes aux alentours de 7h00 et pourra fournir des vêtements secs et chauds.

L’ensemble du groupe devra retourner sur le campement, situé à une quinzaine de kilomètres, à pied, sans aucun accompagnement adapté, ni aucune mise à l’abri proposée malgré la température extérieure avoisinant les 0°C et les appels des équipes aux différents numéros de secours.

Ces situations sont récurrentes à la frontière : entre le 29 novembre et le 15 décembre 2022, les équipes d’Utopia 56 Calais, Grande-Synthe et maraude littoral ont rencontré plus de 1600 personnes suite à des tentatives de traversées de la Manche. Sur l’ensemble de ces personnes, soit secourues en mer, soit empêchées de partir par la police, seules 10 % ont pu accéder à des mises à l’abri d’État. Les autres, hommes, femme et enfants, ont été envoyées vers les campements sans aucune prise en charge malgré les risques d’hypothermie.

À Calais, entre le 1er novembre et le 12 décembre au moins 137 personnes ont été refusées par le 115 par manque de place et au moins 49 mineurs non accompagnés n’ont pas pu avoir accès aux services de la protection de l’enfance et ont dû retourner sur les campements malgré les risques de traite, d’emprise et les conditions de survie sur les campements. À Dunkerque ce sont 50 personnes dont une famille avec 5 enfants en bas âge qui se sont vues refuser l’accès à un gymnase pendant le plan grand froid sur la soirée du dimanche 11 décembre. Une semaine après, dimanche 18 décembre, seules les familles ont pu avoir accès au gymnase du plan grand froid et plus rien n’était proposé pour les hommes seuls malgré les températures négatives.

L’ensemble des services de droits communs à terre  semblent débordés voire démunis. Que ce soit les services de police orientent les personnes vers Utopia 56, association non-mandatée par l’État pour trouver des solutions. Les services de santé, (pompiers, SAMU) sur sollicités suite à des naufrages ou des situations d’hypothermie et laissant dehors des enfants ou bébé malgré le froid, car sans autres solution disponible, les hôpitaux étant déjà surchargés. Ou encore les hébergements d’urgence, saturés car largement sous-dimensionnés.

L’absence de voies de passage sûres et d’accueil digne à la frontière franco-britannique génère aujourd’hui une crise humanitaire de grande ampleur, pesant sur l’ensemble des acteurs de terrain, qu’ils soient bénévoles, salariés ou fonctionnaires de l’État mais encore plus sur l’ensemble des personnes exilées à la frontière qui, chaque jour, prennent des risques toujours plus grands pour tenter de rejoindre l’Angleterre.  

 

Annexe

Bateau 2 

01h47 : L’équipe d’urgence de Grande-Synthe reçoit un message demandant de l’aide urgente, disant que le bateau est plein d’eau. La localisation envoyée par l’embarcation le situe à environ 2 km des côtes. Le CROSS est prévenu immédiatement. 02h33 : Le bateau recontacte l’équipe avec une nouvelle localisation, à nouveau les gardes-côtes français sont prévenus et informés de l’urgence de la situation.

Les témoignages des personnes présentes sont effrayants

Voyant le bateau prendre l’eau, la quarantaine de personnes présentes a paniqué, ils et elles ont appelé plus de 15 fois le 112, qui a d’abord assuré envoyer un bateau puis qui a fini par leur dire de ne plus appeler. Un enfant de 10 ans est tombé à l’eau et a pu être repêché par 3 hommes qui étaient également à bord. Malgré cela, pendant 4 heures aucun bateau de secours ne vient à leur rencontre. Ils prennent alors la décision de revenir par eux même sur les côtes alors que le bateau est rempli d’eau. 

 

Bateau 3  .

2h53 : L’équipe d’urgence d’Utopia 56 Grande-Synthe reçoit un message vocal : “Bonjour mon frère, nous sommes dans un bateau et nous avons un problème, s’il vous plaît aidez-nous…”  et une localisation GPS depuis une embarcation en détresse. Le bateau est en eaux françaises, à quelques centaines de mètres de la frontière. 

2h57 : nous informons les gardes-côtes français par téléphone.

3h13 : nous envoyons un mail aux gardes-côtes français et britannique. Nous indiquons bien aux secours que « la situation répond aux critères requis sous la convention SAR 1979 pour définir « une situation de détresse »« .

Malgré plusieurs relances entre 2h57 et 3h55, aucun moyen de secours n’est envoyé sur place avant 4h00 du matin.