Vers 7h30 ce mercredi matin, le téléphone d’urgence de l’équipe d’Utopia 56 Grande-Synthe sonne. Nous sommes alors déjà en lien avec cinq embarcations actuellement en mer.

La communication est compliquée, alors nous proposons de passer par message et commençons par demander aux personnes de nous envoyer leur localisation.

L’homme au bout du fil se trouve à bord d’une embarcation surchargée (plus de 80 personnes) au large de Calais, en plein milieu de la Manche.

Il demande de l’aide en urgence :

« Le bateau est cassé. Deux personnes sont mortes, une femme et un bébé. S’il vous plait, on a besoin d’aide s’il vous plait. Le bateau est cassé maintenant, il y a trop d’eau. Vous comprenez ? »

Nous prévenons directement les secours.

Cette nuit-là, plusieurs embarcations étaient en mer. Nous avons appelé à neuf reprises le CROSS (Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage en charge de la coordination des secours en mer) suite à des contacts avec des personnes en détresse. Ils étaient eux-mêmes débordés par un grand nombre d’appels.

L’embarcation dont nous parlons, ils la connaissent, ils la suivent depuis son départ de Gravelines plus tôt dans la soirée. Un navire de secours n’est pas loin et intervient rapidement : un canot est mis à l’eau et une équipe de secours va au contact des naufragés.

Deux personnes sont récupérées inconscientes et huit demandent à être secourues. Les autres choisissent de continuer, espérant atteindre les eaux anglaises.

Les secours confirmeront plus tard les deux décès.

Nous apprenons tout cela dans la presse, plusieurs heures après. Entre temps, rien. L’homme eu au téléphone ne nous répondait plus depuis 7h50.

Plus tard dans la journée, les dix personnes secourues ont été ramenées au port de Calais “pour être pris en charge par les services de secours à terre” (selon le communiqué de la Premar Manche sur l’opération de secours en mer au cours de la nuit du 20 au 21 mai 2025).

Pourtant, quand nous y passons en début d’après midi, aucune trace de prise en charge. Les rescapé·es ont surement été emmené·es par la Police Aux Frontières, comme d’habitude – sans aucun soin ou temps de repos – et seront remis à la rue le soir même, après des heures d’interrogatoire, toujours avec leurs vêtements mouillés de l’eau de mer.

Les deux décès d’hier s’ajoutent aux 19 victimes de la frontière depuis le début de l’année 2025. Cinq personnes sont décédées ces dix derniers jours, une autre est déclarée disparue.

Ces décès auraient pu être évités. Les morts à la frontière franco-britannique sont le résultat direct de politiques d’exclusion et de répression faisant preuve d’un racisme décomplexé : tant ici qu’ailleurs, cet acharnement tue.

Refuser de changer de cap, c’est faire le choix conscient de la violence. Les personnes décisionnaires se rendent responsables de ses conséquences.