Il y a un peu plus d’un an, le 1er juillet 2024, Utopia 56 ouvrait un nouveau lieu d’hébergement d’urgence alternatif pour répondre à la situation alarmante des familles et jeunes filles isolées à la rue à Paris.
Ce lieu devait être temporaire. Le temps de l’été, le temps des Jeux Olympiques et Paralympiques, le temps de prouver que quand on veut, on peut et que ce n’était qu’une question de volonté politique.
Chaque soir, nous avons pu accueillir jusqu’à 150 personnes dans cet immeuble vide mis à disposition.
Mais depuis plusieurs semaines, avec le début des congés d’été qui ralentissent (encore) les services publics, et durant lesquels nous avons moins de bénévoles disponibles, face à l’augmentation constante du nombre de demandes, il nous est difficile de maintenir ce lieu ouvert.
Lundi soir, 208 personnes, dont 89 enfants, se sont présentées à notre permanence quotidienne à Paris, dans l’espoir de ne pas passer la nuit dehors. Nos équipes ont dû annoncer à 71 personnes, en grande précarité, dont 14 enfants, que non seulement nous n’avions pas de place pour elles, mais que nous ne pourrions pas non plus assurer le minimum vital pour survivre à la rue, puisque nous n’avions plus de tentes.
Parce que l’État ne les prend pas en charge, toutes ces personnes se rendent à notre permanence en recherche d’un endroit sécurisé où passer la nuit. Nous tentons de trouver une solution pour un maximum d’entre elles grâce à notre réseau d’hébergements solidaires. Mais nous arrivons au point de devoir cesser, au moins temporairement, notre activité d’hébergement, dépassé par une situation humanitaire dramatique et faute de moyens.
Dans ce contexte critique, des centaines de parents, d’enfants, de bébés, des femmes enceintes et isolées, des filles mineures non accompagnées, dormiront donc dehors ce soir, sans aucune solution pour se mettre à l’abri.
Ces dernières semaines, nous avons multiplié les alertes déjà quotidiennes à la Ville de Paris (responsable de l’hébergement des mères célibataires avec enfants de moins de trois ans et de la mise à l’abri des mineur·es non accompagné·es), et à la Préfecture (représentante de l’Etat, responsable de l’hébergement d’urgence sans condition), mais restons sans réponse de propositions de solutions. Il semble qu’aucune réflexion d’ampleur ne soit prévue pour mettre un terme au sans abrisme.
Ces derniers mois, seules des actions de visibilisation ont fait réagir massivement la Ville de Paris, mais jamais l’État, qui reste silencieux.
Un an après les Jeux Olympiques de Paris, l’héritage social promis reste donc inexistant. Alors que les projecteurs se sont éteints, la crise des personnes en grande précarité s’est aggravée dans un silence politique assourdissant.
Chaque soir, en France, 6000 personnes dorment à la rue. Parmi elles, 2000 enfants.
La ligne du 115 (numéro d’urgence pour un hébergement) ne sonne même plus à Paris. Même les femmes enceintes ou avec enfants ne trouvent pas de place. Les écoutants eux-mêmes sont impuissants face à la saturation.
En 2025, le nombre de places d’hébergement d’urgence du DNA (Dispositif National d’Accueil pour les demandeurs d’asile) qui ont été perdues ou non ouvertes se porte à 9324. Nombre alourdi par le dernier projet de loi de finance 2025 voté en février dernier, prévoyant la fermeture de 6500 places. Le gouvernement continue de chercher des pistes d’économie sur l’hébergement pour les années à venir, alors que les besoins explosent.
Un rapport de la DIHAL (Délégation Interministérielle à l’Hébergement et à l’Accès au Logement des personnes sans abri ou mal logées), remis au Premier ministre en mai 2025, alerte : le nombre de places est stable depuis 2021, et il est très insuffisant ; le programme est sous-financé de 200 millions d’euros ; le pilotage global du dispositif est déficient.
En février 2025, 40 associations attaquaient l’État en justice, pour non-respect de son obligation d’hébergement d’urgence et du droit au logement pour les foyers prioritaires (DALO). Et cela ne concerne qu’une partie des 350 000 personnes sans domicile, dans un pays où 12 millions de personnes sont touchées par la crise du logement.
Les causes de cette crise du logement sont multiples :
- Expulsions facilitées par la loi Kasbarian ;
- Fins de prises en charge hospitalières ou de l’Aide sociale à l’enfance sans relais derrière ;
- Démarches administratives impossibles, fabrique des sans-papiers avec les dernières lois immigration.
Cette situation de crise des personnes à la rue n’est pas liée à une “vague migratoire” soudaine : elle est le résultat d’un enchaînement de politiques défaillantes, de la combinaison de certaines réformes et des économies budgétaires faites dans le secteur social.
Cette crise est un symptôme de l’échec de différentes politiques publiques, ou les structures d’accueil du 115 et les associations citoyennes se trouvent en bout de chaine. Ce sont elles qui se voient obligées de déterminer qui, d’une femme enceinte de 7 mois ou d’une femme enceinte de 8 mois, est prioritaire pour avoir un hébergement.
Toutes ces politiques austères font converger vers l’hébergement d’urgence des personnes déjà vulnérables, tant sur le plan de la santé que sur le plan administratif ou social, et avec presque aucune perspective de sortie de cette précarité.
Nos moyens sont dépassés. La solidarité citoyenne ne peut pas tout. Nous demandons à la Préfecture d’Ile-de-France, à l’État et à la Ville de Paris, d’agir.
Des solutions existent : réquisition de bâtiments vides, création de places d’hébergement, application des lois existantes, réflexion d’un plan long-terme sur l’hébergement d’urgence et le sans abrisme. En urgence, il faut des places en Île-de-France, durables : pour ne pas briser les scolarités, les soins, les parcours.
Il faut agir. Pour éviter de laisser, chaque soir, des familles, des femmes seules et des jeunes filles non accompagnées dormir dehors, soumises aux dangers de la rue.