Depuis 2018, une politique dite de «lutte contre les points de fixation» est menée dans le Calaisis et le Dunkerquois. Au nom de cette politique, visant à l’éloignement de la frontière des personnes survivant dans des lieux de vie informels du littoral du nord de la France, le gouvernement se rend coupable de traitements inhumains et dégradants. Cela entraîne des drames que nous constatons et dénonçons depuis des années.
Le 11 octobre 2021, Anaïs Vogel, Ludovic Holbein et le Père Philippe Demeestère ont cessé de s’alimenter durant plus d’un mois. C’était il y a un an. Leurs revendications étaient simples et loin d’atteindre un niveau d’exigence suffisant à un accueil digne : la suspension des expulsions des lieux de vie informels, l’arrêt de la destruction et du vol des tentes et des affaires personnelles durant la trêve hivernale, l’ouverture d’un dialogue citoyen raisonné entre autorités publiques et associations non mandatées par l’État sur la distribution de biens de première nécessité.
Cette action forte n’a pas suffit à interpeller les autorités : aucune amélioration n’a été apportée aux conditions de vie des personnes exilées. Des mesures ont bien été annoncées M. Didier Leschi, mandaté par le ministère de l’Intérieur l’année dernière. Inadaptées et insuffisantes, elles n’ont pas été respectées : le préavis de 45 minutes avant les expulsions n’a jamais été accordé et le « sas » pour 300 personnes avec une orientation vers des hébergements loin de la frontière britannique n’est resté ouvert que 12 jours.
Un an plus tard, les revendications des grévistes de la faim sont toujours d’actualité. Nous n’acceptons pas que ces demandes élémentaires qui interpellaient la responsabilité première du gouvernement français ne soient pas prises au sérieux et traduites en mesures concrètes. Au contraire, nous constatons un durcissement et une dégradation de la situation pour les milliers de personnes bloquées à la frontière.
Nous demandions l’arrêt des expulsions et du vol des affaires personnelles : entre le 1er novembre 2021 et le 30 septembre 2022, Human Rights Observers a observé 1602 expulsions à Calais, Grande-Synthe et Dunkerque et au moins 5135 tentes et bâches volées ou détruites.
Une loi interdit l’expulsion de locataires pendant la trêve hivernale en France : Human Rights Observers a enregistré la saisie d’au moins 1436 abris à Calais lors de la période hivernale 2021/2022, toujours sans aucune solution d’hébergement concomitante et malgré des conditions météorologiques très dures.
Aucun dialogue raisonné et constructif n’a été instauré avec les autorités publiques sur la distribution des biens de première nécessité : les lieux de vie sont pour la plupart délaissés par les services de l’État et les personnes restent privées de leurs droits fondamentaux tels que l’accès sûr et effectif à l’eau et à la nourriture.
Cette insuffisance étatique au détriment des populations précaires a été confirmée par deux décisions de justice du Tribunal administratif de Lille le 12 octobre 2022. Il a reconnu le caractère indispensable des activités des associations indépendantes malgré leurs ressources limitées et les entraves constantes qu’elles subissent. En plus de l’épuisement physique et psychologique, ces conditions de non-accueil contribuent à précariser davantage ces populations bloquées à la frontière, c’est une atteinte à la dignité humaine qui accentue les vulnérabilités des personnes.
Aujourd’hui, parmi les milliers de personnes survivant dans des tentes, sans aucun point d’eau fixe, avec un accès limité aux droits et aux soins et expulsées quotidiennement, il y a des centaines de mineurs isolés. Entourés par des adultes, ils sont exposés aux violences, à l’exploitation sexuelle, à l’emprise liée aux réseaux de passage. Dans la ville de Calais, chaque semaine, des mineurs se voient refuser une mise à l’abri la nuit, faute de place ou d’un système dédié. Sans un abri et une protection, nous dénonçons la violation de l’intérêt supérieur de l’enfant à la frontière.
Le 28 octobre dernier, Emmanuel Macron évoquait avec le Premier ministre anglais, Rishi Sunak, la nécessité de rendre la route de la Manche totalement impraticable pour les trafiquants d’être humains et de décourager les traversées mortelles. C’est pourtant à cause des politiques de plus en plus répressives et du manque de voies d’accès sûres que des centaines de personnes mettent leur vie en danger chaque semaine pour rejoindre l’Angleterre. Depuis janvier 2022, il y a eu plus de 40 000 traversées dans la Manche. Les équipes d’Utopia 56 ont reçu des appels pour au moins 4 039 personnes en détresse, dans des bateaux de fortune.
Quand les naufragés, hommes, femmes, mineurs non accompagnés et enfants sont récupérés en mer par les autorités, ils sont remis à la rue sans aucune prise en charge adaptée, sans solutions d’hébergement. Quand les naufragés ne sont pas récupérés en mer, ils sont portés disparus dans la plupart des cas.
Cela fait 30 ans que cette politique de la dissuasion, y compris par la force, a pour seuls résultats d’exacerber la souffrance humaine et de causer des morts : depuis 1999, au moins 355 personnes sont décédées à la frontière littorale nord. Le 24 novembre prochain, cela fera un an depuis le naufrage où 31 personnes exilées ont disparu dans la Manche. Dès lors, nous appelons à ce qu’une réponse gouvernementale décente soit apportée au plus vite afin d’éviter qu’un nouveau drame se produise. Nous demandons au Président de la République d’accéder dans les plus brefs délais aux revendications portées par les grévistes en 2021, afin d’enfin retrouver un semblant de légalité et de dignité à la frontière Franco-Britannique.
La tribune dans Libération
Signataires :
ADRA Dunkerque, Anais Vogel, Ludovic Holbein, ADRA Dunkerque, AMiS, Auberge des Migrants, Bethlehem, Calais Food Collective, Collective Aid, Emmaüs Dunkerque, FAST, Human Rights Observers, LDH Dunkerque Médecins du Monde, MRAP Littoral Dunkerquois, Roots, Refugees Women Center, SAVE, Secours Catholique-Caritas France et Secours Catholique Pas-de-Calais, Terre d’errance Norrent Fontes, Utopia 56