À l’heure où nous écrivons ces lignes, plusieurs centaines de milliers de personnes fuyant la guerre ont déjà traversé les frontières de l’Union européenne. À ces situations d’une violence extrême d’hier, d’aujourd’hui et de demain, il est indispensable et urgent pour nos États de mettre fin à la violence des politiques aux frontières pour enfin organiser et construire un système d’accueil digne et inconditionnel pour toutes et tous.

“Quoi qu’il en coûte”

Depuis des années, les politiques menées aux frontières de l’Europe bafouent les lois, les accords internationaux, les droits humains et la dignité humaine. Pas une seule journée ne se passe sans que des dizaines de personnes perdent la vie sur les routes de l’exil et que des milliers de personnes soient forcées de quitter leurs familles et leurs amis.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, des femmes, hommes et enfants survivent toujours sans raison dans des geôles en Libye, dans les campements militarisés des iles grecques, dans les forêts de Biélorussie, de Serbie ou de Calais, ou sous une tente dans les rues de Paris de Toulouse et d’ailleurs. Des images et des histoires qui masquent le froid, la faim, la peur, la solitude et la violence imposés et vécus au quotidien. 

Il y a deux jours à Calais, le 28 février, un jeune homme qui espérait rejoindre l’Angleterre a perdu la vie, heurté par un train aux abords de son lieu de vie. Depuis le début de l’année au moins trois personnes sur ce campement ont perdu la vie. Hier matin encore, les corps d’au moins sept personnes ont été retrouvés sans vie sur les plages de Lesbos en Grèce. Cette actualité quotidienne ne peut plus rester invisibilisée.

Face à ces morts, pas une seule journée sans que des briques viennent élever de nouveaux murs aux frontières de l’Europe. Ces murs censés protéger d’un ennemi sans nom, ne viennent qu’attiser la haine et offrent une nouvelle forme de chantage à celles et ceux qui jouent constamment de cette peur de l’autre. En accueillant dignement, cette menace n’existe plus.

À l’heure des combats en Ukraine, de nombreux élus européens locaux et nationaux prennent la parole pour exprimer leur volonté d’accueillir toutes celles et ceux qui fuiront la guerre. Cette volonté, si nous la partageons, reste très éloignée des réalités auxquelles nous faisons face depuis des années sur le terrain. Ces responsables qui s’expriment les plus fortement ont souvent caché ou justifié les atrocités qui constituent les parcours d’exils : les refoulements illégaux vers la Libye et la Turquie, mais également ceux de France vers l’Italie ou l’Espagne, ceux de Croatie, de Serbie… Les expulsions de nuit à Paris, les enfants détenus en centre de rétention, les violences du quotidien de Calais et d’ailleurs. La liste est trop longue. 

La guerre, la faim, l’accès à l’éducation, les discriminations de genres, de religions, les formes d’agressions sont infinies et propre au ressenti de chacune et de chacun. C’est pourquoi l’hospitalité doit impérativement se faire sans distinction d’origine, de classe ou de religion. À l’heure où nous écrivons ces lignes, des étudiants africains en Ukraine se voient entraver le passage vers la Pologne pour s’y réfugier.

Après les discours, se pose la question des moyens. Au-delà de l’engagement indispensable et solidaire de chacun d’entre nous citoyens, entreprises et associations, l’État doit y dédier les moyens financiers nécessaires, quoi qu’il en coûte. Une hospitalité qui selon de nombreuses études vient également répondre aux défis économiques, écologiques et sociétaux auxquelles le monde fait face sans réagir.

C’est dans ce contexte que nos équipes de bénévoles rencontrent chaque jour des personnes en errance, seules, sans toit et sans ressources. Si nous en informons quotidiennement les pouvoirs publics, ces alertes restent trop souvent ignorées et méprisées. Ces derniers jours, l’État annonce que des places seront trouvées pour accueillir les personnes fuyant les combats en Ukraine. Si nous ne pouvons que nous en satisfaire, cela vient confirmer l’hypocrisie des discours politiques et l’existence des discriminations systémiques au sein de notre pays. 

Rappelons qu’un accueil digne est avant tout un droit humain fondamental et un devoir de l’État face à la loi, il ne peut se limiter à une “une part” et doit se faire pour toutes celles et ceux qui le demande. Il est inacceptable que des personnes tout juste arrivées en France, se voient chasser jours et nuits des rues par une police aux ordres des préfets et du ministère de l’Intérieur, alors qu’elles n’ont nulle part où aller et que rien ne leur est proposé. L’accueil se doit avant tout d’être non violent, empathique et bienveillant.

Autour des conditions d’accueil actuelles, des dizaines de milliers de citoyennes, citoyens et associations se mobilisent chaque jour afin venir en aide aux personnes qui en ressentent le besoin. Au travers de cours de français, de dons matériels ou financiers, en ouvrant leurs portes pour héberger, ces volontés contribuent largement à compenser les défaillances de solidarité de l’État. Il est donc de son devoir de les soutenir et de les écouter.

Accueillir dignement, c’est aussi construire un nouveau rapport de force international plus équilibré et qui prend réellement en compte l’épanouissement économique et politique des pays d’origine. Car si l’accueil est indispensable, notre priorité est avant tout la paix et que personne n’ait la nécessité, ni la sensation, de devoir fuir pour se construire. 

Enfin, accueillir c’est également l’opportunité de construire une autre image de ce que nous sommes aujourd’hui et redonner enfin ses lettres nobles à des fondements oubliés, aux droits humains. Donnons-nous enfin les moyens d’accueillir dignement en France et en Europe.

Indignons-nous, organisons-nous.