En 1990, la France signait et ratifiait la convention relative aux droits de l’enfant. A ce titre, elle s’est engagée à protéger, héberger, nourrir, soigner et faciliter la scolarisation de tou.te.s les mineur.e.s présent.e.s sur son territoire.

Le Code d’action sociale et des familles précise que les mineur.e.s doivent être pris.es en charge sans condition de nationalité et sans considération de la régularité de leur séjour.

Or, ce que constatent les associations qui œuvrent sur le terrain pour la protection des MNA, dont Utopia 56 et son partenaire Médecins Sans Frontières, est une politique de non-accueil, de maltraitance administrative et policière et de privation d’accès aux soins, qui est inacceptable.

Le terme de MNA a remplacé celui de MIE « Mineur.e Isolé.e Etranger.e » en mars 2016. Si ce terme juridique ne contient désormais plus le mot « étranger », ce statut renvoie encore et toujours les jeunes exilé.e.s à la réalité de migrant.e plutôt qu’à un statut de mineur.e devant être protégé.e, de par le caractère arbitraire et dissuasif de la procédure pour obtenir la protection correspondante.

L’évaluation : de la difficulté d’être reconnu.e mineur.e et isolé.e

En France, la protection des mineur.e.s est du ressort des départements, responsables de leur prise en charge à l’issue d’une « évaluation de minorité » lors de laquelle l’administration statue sur la minorité ou la majorité du jeune qui se déclare mineur. Cette évaluation est souvent réalisée par l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) ou parfois une association, par délégation de service public. A Paris par exemple, cette évaluation est réalisée au DEMIE (Dispositif d’Evaluation des Mineurs Isolés Etrangers) par la Croix Rouge française.

Lorsqu’un jeune se déclare mineur à l’administration compétente dans le département où il se trouve, celle-ci est tenue de le mettre immédiatement à l’abri dans un foyer ou un hôtel, en attendant son évaluation. Mais cette obligation légale est rarement respectée et le délai d’attente d’une évaluation peut aller d’une semaine à plusieurs mois selon les départements.

L’évaluation, lorsqu’elle a lieu et n’est pas simplement refusée « au faciès » (refus dit « guichet ») pour des jeunes déclarés arbitrairement « manifestement majeur.e.s » (près de 10 % des cas), consiste en un entretien qui peut durer moins de 30 voire moins de 20 minutes durant lequel l’évaluateur/évaluatrice devra présenter des suppositions sur la minorité ou la majorité du jeune à l’aide d’un questionnaire transmis au conseil départemental, qui prend la décision finale (sans avoir jamais vu le/la jeune).

Cette pratique n’est pas conforme aux textes de lois selon lesquels l’évaluation doit se faire « par une équipe pluridisciplinaire et formée » à la lumière des déclarations du/de la jeune mais aussi de ses papiers d’état civil s’il/elle en fournit (avec la possibilité légale d’une aide à la reconstitution de l’état civil) et d’éléments physiologiques et psychologiques. Trop souvent, des prétextes de refus imprécis ou malhonnêtes sont invoqués, telle que la maturité du/de la jeune, de son langage et l’imprécision de son récit migratoire.

Dans tous les cas, l’entretien se fait « à charge », en partant du principe que le/la jeune va mentir, sans considération pour la présomption de minorité due à la personne qui se présente à l’administration comme mineure. La présence d’un.e interprète n’est pas garantie et beaucoup de jeunes venant d’Afrique de l’Ouest voient une évaluation avec des conséquences très importantes pour toute leur vie se dérouler en français qui n’est pas leur langue maternelle, par commodité et par souci d’économie.

Les jeunes refusés sans entretien doivent se battre pour obtenir la lettre de refus de minorité, pourtant indispensable à la saisine du juge des enfants, seul recours possible à la décision.

Lorsque la minorité ne peut être contestée par l’administration, c’est alors souvent l’isolement qui est remis en question, en prétextant par exemple la présence d’un.e parent.e lointain.e sur le territoire ou encore l’aide d’une association ou d’un.e particulier.e solidaire.

D’un département à l’autre, les évaluations sont si arbitraires et les pratiques si disparates qu’elles mènent à la reconnaissance de minorité de 9 % à 100 % des jeunes qui se présentent.

Contester la décision grâce au juge des enfants (JDE)

Tout.e jeune déclaré.e majeur.e par le conseil départemental dispose de deux mois pour entamer une saisine du juge des enfants. (Dans le cas d’un jugement défavorable, il est possible par la suite, comme pour chaque procédure judiciaire en France, de faire appel).

Cette procédure, très importante pour faire respecter le droit de ces adolescent.e.s à obtenir une protection, est néanmoins longue et complexe. Mais, aidée par des associations, les jeunes peuvent espérer gagner ce combat. Cela vaut le coup : à Paris, plus de 50 % des jeunes qui font ce choix sont finalement pris.es en charge par l’ASE et bénéficient d’une mesure d’assistance éducative jusqu’à leur majorité.

Dans plus de 50 % des cas également, les jeunes qui saisissent le juge bénéficient d’une ordonnance de placement provisoire (décision de placer un.e jeune en foyer) lors de leur première audience (jusqu’au rendu du jugement). Pour les autres, c’est malheureusement souvent la rue et les difficultés pour se nourrir (pendant un an parfois) qui peuvent inciter le/la jeune à abandonner ses démarches. C’est pourquoi Utopia 56 a souhaité développer avec Médecins Sans Frontières le projet « Accueillons » pour stabiliser les adolescent.e.s en recours durant leurs démarches.

Pour réaliser leur saisine du juge, les jeunes ont la plupart du temps besoin d’aide car la lettre doit être rédigée en français et apporter un certain nombre d’informations très spécifiques.

Si la procédure de saisine permet de faire avancer la protection des mineur.e.s non accompagné.e.s, elle est cependant très imparfaite. Malgré l’imprécision des tests osseux (radio de la main et du poignet gauche pour déterminer « l’âge osseux ») pratiqués sur les adolescent.e.s (2 ans de marge d’erreur après 16 ans), ils sont encore demandés dans certains cas par les juges et une crédibilité démesurée leur est prêtée. En outre, les juges donnent souvent, comme les départements, peu de crédit aux documents d’identité étrangers, surtout pour les ressortissant.e.s guinéen.ne.s qui sont très pénalisé.e.s.

L’importation et la certification de documents d’identité du pays d’origine ont un coût élevé, parfois plus de cent euros, qui ne peut être supporté par le/la jeune seul.e. Il est à signaler que tout dialogue du/de la jeune avec l’administration de son pays d’origine pour obtenir des papiers lui fermera de fait la porte de la demande d’asile, ce qui peut être un handicap dès son 18e anniversaire, la France jugeant ainsi qu’il/elle n’a rien à craindre du gouvernement de son pays et s’estimant donc dans la capacité de l’y renvoyer.

Encore une fois, l’aide à la reconstitution de l’état civil, obligation légale de l’administration, n’est presque jamais proposée.

Répartition nationale et fichage biométrique : les nouveaux décrets 2018-2019

La loi « Asile et immigration », aussi appelée loi « Colomb », promulguée le 10 septembre 2018, a instauré la mise en place d’un fichage biométrique des MNA pour maîtriser leur circulation sur le territoire français et éviter que les jeunes refusé.e.s ne tentent une évaluation dans d’autres départements. Le premier décret relatif à ce fichage a été publié au Journal Officiel le 31 janvier 2019, malgré les alertes des associations, du Défenseur des Droits, du Conseil National de la Protection de l’Enfance et de certains conseils départementaux. La mise en place de ce fichage en effet possède des inconvénients majeurs et notamment la nécessité pour le/la jeune de se rendre en préfecture (alors que son rapport à la police durant son parcours migratoire, et même à son arrivée en France, a pu être très traumatisant), le fichage lui-même (éthiquement questionnant pour des mineur.e.s) et l’interconnexion avec d’autres fichiers biométriques européens facilitant les expulsions. Le 26 juillet 2019, le Conseil Constitutionnel, interpellé par les acteurs de la protection de l’Enfance, entérinait le déploiement du dispositif, en le déclarant conforme à la constitution française.

Toutefois, son utilisation reste facultative, ce qui rend les évaluations encore plus disparates et arbitraires. Certains départements comme le Bas-Rhin, l’Isère, l’Essonne et l’Indre-et-Loire, se sont emparés du dispositif dès le décret d’application et la majorité des autres ont suivi. Pourtant, selon la CNAPE (Convention Nationale des Associations de Protection de l’Enfant), au moins six départements refusent encore de mettre en place le dispositif, comme Paris et le département de Seine-Saint-Denis, où les évaluations sont particulièrement nombreuses.

Malgré une application récente, les conséquences du fichage sont déjà connues. Refusé.e.s dans un département, les jeunes ne peuvent plus tenter une évaluation dans un autre.

On pourrait y voir un avantage dès lors que le/la jeune est reconnu.e mineur.e dans un département : fiché.e au niveau national, il/elle peut alors être transféré.e dans un autre département avec son dossier, assuré.e de voir respectée son évaluation. Or, il n’en est rien. Un.e jeune dont la minorité a été reconnue par son département d’évaluation (avec ou sans recours au JDE) et qui n’est pas mis.e à l’abri dans ce département (en cas de forte demande) sera effectivement transféré.e sans avoir le choix dans un autre département mais son ordonnance de placement n’a aucune garantie d’être respectée.
Certains départements refusent d’accueillir des jeunes au prétexte que le département d’évaluation serait laxiste. Les adolescent.e.s transféré.e.s et rejeté.e.s reçoivent parfois dans la foulée une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) qu’il leur faudra contester rapidement pour pouvoir rester en France et continuer à batailler pour la reconnaissance de leurs droits.

Dans ce cas particulier, le juge des enfants est impuissant à faire respecter l’avis du premier département et le/la jeune, désormais fiché.e au niveau national et affecté.e à un département qui le refuse, est condamné.e à l’errance. Il/Elle devient alors un.e mijeur.e, ni mineur.e ni majeur.e et les portes des dispositifs de droit commun ne pourront s’ouvrir à lui/elle que s’il/elle se prétend majeur.e.

L’accès aux soins, une nécessité immédiate

Pour ces jeunes qui ont voyagé sans leurs proches et qui ont quitté leur pays d’origine à la suite de traumatismes graves, de violences familiales ou à cause d’un contexte politico-économique dramatique, il serait crucial de réaliser au plus tôt un bilan psychologique et de santé avant d’entamer des démarches administratives longues et complexes. Or, ce que propose l’ASE, c’est une évaluation « à charge » dès l’arrivée du/de la jeune ou après une période d’errance dans la rue.

Désorienté.e.s, souvent effrayé.e.s et anxieux.ses, habitué.e.s à ne plus faire confiance à personne, ils/elles peuvent difficilement satisfaire l’administration qui les presse de questions sur leur parcours migratoire, la vie dans leur pays d’origine, la famille qu’ils ont quitté, …

Hors, la procédure ne prévoit aucun accès au soin ni bilan psychologique avant le RDV d’évaluation (qui peut demander plusieurs mois), et souvent aucun hébergement n’est proposé non plus, en violation de la loi.

Les jeunes à la rue développent ainsi des troubles psychologiques et sont souvent malades. La difficulté de se faire soigner sans représentant.e légal.e et la saturation des dispositifs de droit commun comme les PASS (Permanences d’accès aux soins de santé) rend difficile l’obtention d’un simple rendez-vous de bilan avec un généraliste. Nous réalisons de nombreux accompagnements médicaux car les jeunes essayant seul.e.s d’obtenir des soins sont souvent rejeté.e.s sous prétexte qu’ils/elles n’ont pas de papiers ni de représentant légal. Les procédures spécifiques pour les MNA (surtout MNA en recours) sont peu claires et souvent mal connues des professionnels de santé eux/elles-mêmes.

A Paris, le centre MSF de Pantin permet de pallier aux carences du système de santé (particulièrement saturé en Île-de-France) pour les jeunes refusé.e.s par l’ASE, tant au niveau de la santé physique que mentale.

L’asile, réservée aux majeur.e.s ?

Contrairement à ce que pensent beaucoup d’exilé.e.s mais aussi de bénévoles aidant.e.s, l’asile est accessible à tou.te.s, quelque soit l’âge. Un.e mineur.e isolé.e peut tout à fait, indépendamment de son évaluation de minorité, déposer une demande d’asile et prétendre à un statut qui le protégera au-delà de ses 18 ans. Néanmoins, dans les faits, seulement quelques centaines de mineur.e.s par an déposent des demandes, pourtant acceptées à plus de 70 % (deux fois plus souvent que pour les adultes).

Les obstacles à la demande d’asile sont à la fois l’ignorance généralisée de cette possibilité et les freins administratifs dissuasifs aux demandes, notamment les délais de désignation de l’ « administrateur ad hoc » (qui remplace le représentant légal du jeune dans la démarche). Parfois, l’examen de la demande semblent même être mis en suspens par l’administration jusqu’à la majorité, évitant ainsi la nécessité de désigner le dit-administrateur, en violation, encore une fois, de la loi.

Les mijeurs, ni mineurs, ni majeurs

L’errance et la précarité des mineur.e.s refusé.e.s sont renforcées par la binarité des systèmes sociaux français et du droit commun, qui distinguent fortement les services pour les mineur.e.s et pour les majeur.e.s. Ainsi, un.e mineur.e ne peut appeler le 115 pour être mis.e à l’abri. Si un jeune ment sur son âge par commodité pour bénéficier d’un service réservé aux majeur.e.s (hébergement, nourriture, allocation), cela pourra être utilisé contre lui plus tard s’il fait appel de la décision du département pour faire reconnaître sa minorité.

Tout jeune en errance la nuit se déclarant mineur, accompagné ou pas par un.e citoyen.ne, doit pouvoir prétendre à une mise à l’abri en se rendant à n’importe quel commissariat. Nous avons fait le constat durant plusieurs années que les commissariats ne connaissent pas leur devoir à ce propos ou feignent de ne pas le connaître. Pire, nous avons déjà constaté des remises à la rue en pleine nuit (après le départ du ou de la bénévole) ou encore, une fois où la police a déclaré avoir perdu les papiers du jeune, pourtant seule preuve de sa minorité, durant la nuit de mise à l’abri d’urgence.

L’action d’Utopia 56 pour les mineur.e.s

Nous ne pouvons rester inactif.ve.s face à ces constats. Depuis 2017, Utopia 56 a souhaité consacrer environ la moitié de ses ressources (heures bénévoles, heures salariées, dons, effort de plaidoyer, …) à la cause de MNA délaissé.e.s par les conseils départementaux. L’antenne de Tours en a même fait son cœur d’activité.

C’est dans l’optique d’offrir un toit, un suivi médical et psychologique ainsi que la nécessaire aide administrative à toutes les personnes se déclarant mineures que nous avons construit des partenariats long terme avec MSF mais aussi de nombreux collectifs qui œuvrent pour la protection des mineur.e.s. Nous sommes complémentaires !

Utopia 56 est présente dans la rue grâce à ses maraudes et peut donc accompagner très tôt les jeunes à leur arrivée en France, car chaque jour compte pour soustraire les adolescent.e.s en errance au risque de traite (pédophilie, esclavage et travail forcé, mendicité forcée, …) et de dégradation de leur santé physique et psychique. Nous envoyons les jeunes à l’évaluation, avec le contact du numéro unique « mineur.e.s » d’Utopia, afin qu’ils/elles puissent nous contacter si le résultat de l’évaluation s’avère négatif. Alors, à Paris nous les orientons au centre MSF, ou, dans les autres antennes, nous réalisons le suivi administratif en collaboration avec les associations locales. Et partout, nous hébergeons, afin de proposer une stabilité à des jeunes et de leur offrir la possibilité de se battre pour leurs droits fondamentaux !

En 2019, environ 100 jeunes ont pu être soutenu.e.s au niveau national et bénéficier d’une aide administrative, d’un hébergement et d’un accès facilité à la scolarisation et à des activités culturelles.

Et en 2020, nous continuerons à lutter contre la maltraitance administrative et le fichage des MNA par un plaidoyer documenté et offensif.

Sources :

  • Rapport Mission France MSF, septembre 2019
  • Rapport de la Cimade, Jeunes en Danger, 2018
  • www.infomie.net
  • www.unicef.fr
  • www.cnape.fr