Depuis le 24 février, plus de 13 500 personnes sont arrivées en France depuis l’Ukraine. Grâce à une forte mobilisation de l’État, elles ont pu profiter d’un accompagnement et d’un hébergement immédiat. Selon la ministre du Logement, plus de 50 000 places d’hébergement sont déjà mobilisables. Ces chiffres se confrontent à une autre réalité vécue au quotidien par notre association : des dizaines de milliers de personnes en exil qui depuis des années sont forcées de vivre de quelques jours à plusieurs années par la rue faute de système de premier accueil en France. 

“Tout le monde ici a besoin d’un foyer. On a froid, beaucoup sont malades. Ça, ce n’est pas une maison”, nous dit Ahmed Shabir en montrant sa tente. Originaire d’Afghanistan, il survit depuis le 16 février dans un campement à Pantin.

Un système de premier accueil consiste à accueillir dignement les personnes en exil à leur arrivée en France, évitant l’errance et les situations de rue. Ce dispositif existe dans la grande majorité des pays européens, mais que la France refuse à mettre en place. Selon le rapport interassociatif des « oubliés du droit d’asile » de février 2022, plus de 96% des répondants, demandeurs d’asile, avaient passé un temps à la rue ou en squat avant de pouvoir être accéder à un hébergement.

Pour l’arrivée des personnes d’Ukraine, de nombreux dispositifs et outils ont pu être mis en place en seulement quelques jours : plateforme d’hébergement citoyen, ouverture de nouveaux dispositifs d’hébergement, bureau d’accueil, gratuité des transports en commun, couverture maladie instantanée… Nous saluons la mise en place de ces mesures que nous connaissons bien, puisque les associations, dont Utopia 56, se mobilisent pour leur mise en place, sans succès jusqu’à présent.

Pour “les autres”, autour de 100 000 personnes par an demandant l’asile en France sont toujours vouées à l’errance, la violence et la rue à leur arrivée. Ces derniers mois, Utopia 56 a observé et documenté une forte intensification des interventions de police à l’encontre des personnes exilées à la rue : saisie de tentes et couvertures, expulsion quotidiennes, violences.

“En dépit des traumatismes physiques et moraux générées, la France utilise la rue comme maillon de sa politique de non-accueil pour tenter de décourager les arrivées”, Yann Manzi, co-fondateur d’Utopia 56.

En forçant à vivre à la rue et en dégradant autant que possible les conditions d’accueil, l’État espère s’opposer à “l’appel d’air” d’un accueil digne pour réduire le nombre de personnes arrivant en France. De plus, les personnes, ne sachant pas où aller pour trouver un hébergement, tendent à se rendre à Paris afin d’obtenir plus facilement un support associatif. Cette extrême centralisation des demandes d’asile en Île-de-France, aboutissant à la création de campements informels, pourrait être évitée si chaque département avait en place un réel système de premier accueil. Faute d’accueil en France, cette situation a également pour impact de pousser de nombreuses personnes à rejoindre le Royaume-Uni et à se retrouver bloquées à Calais et Grande-Synthe. 

Selon le rapport de l’OFII de janvier, publié avant l’arrivée des personnes d’Ukraine, seulement  2 934 places d’hébergement pour les personnes demandeuses d’asile étaient annoncées comme disponibles en France. Des milliers de places supplémentaires ont ainsi pu être débloquées. Si comme l’affirme Didier Leschi, directeur de l’OFII, “nous utilisons les mêmes hébergements pour les Ukrainiens que pour les Afghans”​, il est difficile de comprendre pourquoi ces places n’avaient été mobilisées précédemment et pourquoi des milliers de personnes d’Afghanistan et d’ailleurs sont encore à la rue.

Au-delà des aspects pragmatiques, les mesures mises en place depuis deux semaines pour certain·es sont discriminatoires et entachent une fois encore tant des fondements d’égalité que de fraternité. Nous demandons la mise en place d’un système de premier accueil pour tou·tes.

 

Photo : Alexandra Henry