Deux ans après le naufrage du 24 novembre 2021, alors que l’injustice et les décès aux frontières se poursuivent, nous sommes uni·e·s pour appeler à un monde sans violence aux frontières.

Le 24 novembre 2021, au moins 33 personnes embarquées à bord d’un zodiac ont tenté de rejoindre le Royaume-Uni, en partant des côtes Dunkerquoises. Ces 33 personnes venaient majoritairement du Kurdistan irakien, mais aussi d’Afghanistan, d’Éthiopie, d’Iran, d’Égypte, de Somalie et du Vietnam.

Trois heures après le début de la traversée dans la Manche, l’embarcation s’est trouvée en situation de détresse. A 1h48 du matin, les passager·ère·s ont réussi à prendre contact avec le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) Gris-Nez, qui coordonne les opérations de secours côté français. Alors que l’embarcation est localisée dans les eaux territoriales françaises, le CROSS refuse d’envoyer des secours.

Malgré des appels répétés de la part de différent·e·s naufragé·e·s, entre 1h48 et 4h34 du matin, ni les secours britanniques, ni les secours français ne lanceront d’opération de secours. Pire, à 4h16 du matin, le CROSS ira même jusqu’à dissuader un tanker d’intervenir pour secourir les personnes en train de se noyer. Ce n’est que 12 heures après, que l’embarcation pneumatique est retrouvée par un bateau de pêche. Au moins 27 personnes sont mortes cette nuit-là dans les eaux glacées de la Manche.

Quelques jours après le naufrage, deux rescapés témoignent de la manière dont les secours les avaient impunément abandonnés en pleine mer. En novembre 2022, Le Monde a révélé la teneur des échanges – insoutenables – entre les naufragé·es et le CROSS. Les naufragé·es ont été traité·es avec cynisme et les lois internationales qui régissent le sauvetage en mer ont été bafouées. Quelques semaines après le naufrage, l’association Utopia 56 a déposé plainte aux côtés de membres des familles de personnes décédées, contre les autorités françaises pour « homicide involontaire » et « omission de porter secours ». Les neuf militaires du CROSS Gris-Nez et d’un patrouilleur français auditionnés dans le cadre de cette enquête judiciaire, ont assumé toutes les décisions prises lors de cette terrible nuit, mais n’estiment pas avoir commis de faute. Alors que le gouvernement français avait promis une enquête interne, suite aux révélations du journal Le Monde, celle-ci n’a jamais eu lieu. Les prévenus bénéficient au contraire du soutien de leur hiérarchie, laquelle a tenté d’interférer dans l’enquête judiciaire comme le révèlent des écoutes téléphoniques. Une enquête pour violation du secret de l’instruction est ouverte.

Un rapport publié ce mois-ci par le Ministère des Transports britannique a identifié les défaillances qui ont empêché les garde-côtes britanniques de secourir l’embarcation cette nuit-là : mauvaise visibilité, absence de surveillance aérienne et manque de personnel dans la salle de contrôle de Douvres pour traiter les appels d’urgences… L’équipe juridique représentant l’une des familles de la victime a qualifié les événements de “chaos général”. Le gouvernement britannique a également annoncé l’ouverture d’une enquête indépendante sur le naufrage, après la publication du rapport. Toutefois, le rapport n’explique pas pourquoi plus de 30 personnes ont été laissées en détresse pendant 12 heures, alors que les garde-côtes ont secouru d’autres bateaux cette nuit-là, ni pourquoi les personnes exilées n’ont d’autre choix que de risquer leur vie en mer, alors que toutes les autres routes sûres vers le Royaume-Uni leur sont interdites.

Encore et encore, les autorités politiques et militaires réfutent la responsabilité qui leur incombe dans ce naufrage et s’efforcent d’étouffer l’affaire.

Depuis 1999, au moins 385 personnes sont décédées en tentant de rejoindre le Royaume-Uni. Mortes percutées par un véhicule sur l’autoroute, électrocutées par un caténaire sur le site Eurotunnel, asphyxiées dans la remorque d’un poids-lourd dans l’Essex en Angleterre, mortes par suicide, noyées dans le canal en tentant de se laver, décédées suite aux mauvaises conditions de vie sur les campements, et noyées dans la Manche.

La fréquence des morts à cette frontière ne fait que s’accélérer ces dernières années. Depuis le 24 novembre 2021, ce ne sont pas moins de 45 nouvelles victimes qui ont été recensées. Les mort·e·s continuent de s’accumuler et rien ne change. Au contraire, les autorités françaises, belges, et britanniques s’entêtent dans leur logique raciste et sécuritaire en créant un environnement toujours plus hostile aux personnes exilées.

En France, le nouveau projet de loi asile-immmigration annonce un tournant encore plus anti-migrant du gouvernement Macron. Sur le littoral nord, ce mois-ci, des associations ont dénoncé une “situation catastrophique” pour les personnes exilées qui ne bénéficient ni d’une mise à l’abri malgré le froid et la tempête Ciaran, ni d’accès à l’eau ou aux distributions alimentaires – alors que les opérations policières d’expulsion continuent. En Belgique, le gouvernement continue de nier le droit d’accueil aux personnes exilées, laissant familles et enfants à la rue, malgré plusieurs condamnations par la justice. De plus, depuis 2021, la Belgique soutient l’opération Opal Coast de surveillance aérienne de Frontex dont la mission est d’assister les autorités françaises et belges pour détecter et intercepter les personnes exilées qui tentent de traverser la Manche pour rejoindre le Royaume-Uni. Du côté britannique, le gouvernement déploie successivement des mesures de plus en plus répressives contre les personnes exilées, y compris un plan d’expulsion vers le Rwanda jugé illégal par la Cour suprême et l’interdiction de demander l’asile aux personnes arrivant de manière “irrégulière” au Royaume-Uni. Enfin, à l’occasion du dernier sommet franco-britannique du 10 mars 2023, le Royaume-Uni a annoncé le déblocage de 543 millions d’euros (£476 millions) sur 3 ans destinés au déploiement de 500 officiers supplémentaires, à l’achat de nouveaux équipements de surveillance et de drones, d’hélicoptères et d’aéronefs, ainsi qu’à l’ouverture d’un nouveau centre de rétention dans le nord de la France.

Les autorités françaises, belges, et britanniques ont fait de cette frontière un espace de mort. En refusant d’accueillir les personnes exilées et en militarisant cette frontière, via une surenchère de dispositifs de répression (kilomètres de barrières, barbelés, drones, multiples patrouilles de police, avion Frontex), elles sont responsables politiquement depuis des décennies de chaque mort. Nous savons que la militarisation accrue des frontières n’empêche pas les personnes de voyager, mais rend simplement ces voyages plus dangereux et mortels.

Nous, associations, collectifs, et militant·e·s belges, britanniques, et français·es, nous soutenons les actions menées par les proches et familles des victimes devant les tribunaux afin que la vérité éclate sur le déroulement exact de cette nuit meurtrière et que justice soit faite.

De Dunkerque à Folkestone et de Londres à Zeebrugge, nous réclamons un changement urgent et radical quant aux politiques menées à cette frontière, ainsi qu’aux autres frontières européennes, afin que les droits des personnes en migration soient pleinement respectés et que les valeurs et principes de l’accueil et de la libre circulation remplacent la logique raciste de violences mortifères aux frontières. Nous sommes solidaires de toutes les personnes exilées. Elles ne devraient pas être confrontées au traumatisme supplémentaire de frontières militarisées et violentes lorsqu’elles cherchent la sécurité en Belgique, en France ou au Royaume-Uni.

Tant que les gouvernements belge, britannique, et français continueront à coordonner des violences simultanées à la frontière commune et tant que les gens auront le besoin et le désir de traverser les frontières, notre solidarité et notre travail devront continuer à aller au-delà des frontières. Nous continuerons notre travail commun en solidarité avec les personnes exilées, pour le respect de leurs droits – à commencer par leur droit à la vie – et pour que justice soit rendue lorsque ces droits sont bafoués.

 

Signataires :

African Rainbow Family, Royaume-Uni

After Exploitation, Royaume-Uni

Alice Thiery, Nouvelle Calédonie

All African Women’s Group, Londres, Angleterre

Amira Elwakil, Royaume-Uni

ARACEM, Mali

BARAC UK, Royaume-Uni

Big Leaf Foundation, Royaume-Uni

Birmingham City of Sanctuary, Royaume-Uni

Birmingham Community Hosting Network (BIRCH), Royaume-Uni

Birmingham Schools of Sanctuary, Royaume-Uni

Calais Food Collective, France

Cambridge Convoy Refugee Action Group, Royaume-Uni

Camille Louis, France et Grèce

Captain Support UK, Royaume-Uni

Care4Calais, Royaume-Uni

Charles Stone, Oxford, Angleterre

Chenu Elisabeth, France

Choose Love, Royaume-Uni

CIRÉ, Belgique

CNCD-11.11.11, Belgique

Damien CAREME, France

Drag Down the Borders, Royaume-Uni

Eleanor Glynn, Royaume-Uni

Fabienne Augié, France

Focus on Labour Exploitation (FLEX), Royaume-Uni

Freedom from Torture, Royaume-Uni

GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrées), France

Giulia Teufel, Scotland

Global Women Against Deportations, Londres, Angleterre

Greater Manchester Immigration Aid Unit (GMIAU), Royaume-Uni

Groupe montois de soutien aux sans-papiers, Mons, Belgique

Haringey Welcome, Royaume-Uni

Here for Good, Royaume-Uni

Human Rights Observers (HRO), Calais et Grande-Synthe, France

Humans for Rights Network, Royaume-Uni

Inclusive Mosque Initiative, Royaume-Uni

Institute of Race Relations, Royaume-Uni

Joint Council for the Welfare of Immigrants (JCWI), Royaume-Uni

Julie HUOU, Nîmes, France

Kent Refugee Action Network (KRAN), Kent, Royaume-Uni

Kevin Guilbert, Ham en Artois, France

L’Auberge des Migrants, France

La Cimade, France

La Resistencia, États-Unis

Latin American Women’s Rights Service (LAWRS), Royaume-Uni

Legal Action for Women, Londres, Angleterre

Loraine Masiya Mponela, Angleterre

Louis Fernier, Poitiers, France

Lu ndu, Royaume-Uni

Lucian Dee, Londres, Royaume-Uni

Manchester Migrant Solidarity Manchester, Royaume-Uni

Maria Hagan, France

Medact, United Kingdom

Médecins du Monde France / Programme nord littoral, France

Merseyside Solidarity Knows No Borders, Royaume-Uni

Migrant Voice, Royaume-Uni

Migrants in Culture, Royaume-Uni

Migrants Organise, Royaume-Uni

Migrants’ Rights Network, Royaume-Uni

Migrations Libres, Belgique

Migreurop, réseau euro-africain

Morgan Guthrie, Royaume-Uni

MRAP-littoral dunkerquois, Dunkerque, France

NANSEN, the Belgian Refugee Council, Belgique

Ouvre Porte, France

Oxford Against Immigration Detention, Oxford, Royaume-Uni

Patricia Thiery, France

Payday men’s network, Royaume-Uni et États-Unis

Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés – Belrefugees, Belgique

Play for Progress, Londres, Royaume-Uni

Project Play, France

Rainbow Migration, Royaume-Uni

Reclaim The Sea, Royaume-Uni

RefuAid, Londres, Royaume-Uni

Refugee Action, Royaume-Uni

Refugee Legal Support, Londres et Calais

Refugee Support Group, Berkshire, Royaume-Uni

Refugee Women’s Centre, France

Remember & Resist, Royaume-Uni

Right to Remain, Royaume-Uni

Safe Passage International, Royaume-Uni

Safe Passage International, France

Social Workers Without Borders, Royaume-Uni

Stand For All, Royaume-Uni

Stories of Hope and Home, Royaume-Uni

Student Action for Refugees (STAR), Royaume-Uni

Terre d’errance Norrent-Fontes, France

The October Club, Oxford, Royaume-Uni

The Pickwell Foundation, Devon, Royaume-Uni

The Refugee Buddy Project Hastings Rother & Wealden, East Sussex, Royaume-Uni

The Runnymede Trust, Royaume-Uni

Tina Pho, Royaume-Uni

Toby Murray, Londres, Royaume-Uni

Tugba Basaran, Cambridge, Royaume-Uni

Utopia 56, France

Valérie Osouf, France

Vents Contraires, France

VVIDY (Voice of Voiceless Immigration Detainees-Yorkshire), Royaume-Uni

Welsh Refugee Council, Pays de Galles

Young Roots London, Royaume-Uni