Jamais autant de personnes en exil n’ont traversé la Manche en bateau. Malgré les dépenses publiques françaises et anglaises de “sécurisation” de la frontière, depuis le début de l’année, le nombre de traversées a été multiplié par 4 au 19 avril 2022 avec 6 695 passages contre 1631 l’année dernière à la même date.
À celles et ceux qui réussissent la traversée, s’ajoutent les chiffres de celles et ceux qui échouent et restent bloqué·es en France. À Grande-Synthe, en seulement quatre mois, de janvier à avril 2022, les équipes d’Utopia 56 ont déjà reçu 36 appels de détresse en mer, contre 59 appels reçus sur l’ensemble de 2021. Sur la seule semaine du 11 avril, nous sommes venus en aide, en distribuant des couvertures de survie, de l’eau et de la nourriture, à 276 personnes ayant tenté le départ sans y parvenir, des femmes, des hommes et des enfants dans un état d’épuisement total. Dans la grande majorité des cas de naufrage, après avoir été secouru en mer, les personnes sont abandonnées aux ports sans aucun accompagnement de l’État.
Suite au naufrage qui a fait au moins 27 morts dans la Manche le 24 novembre 2021, la France et l’Europe ont opté pour une réponse répressive avec la mise en place d’un avion Frontex au-dessus de la Manche et une augmentation des moyens mis dans la lutte contre les réseaux de passages.
« La sur-militarisation du littoral nord conduit à une prise de risque plus grande, les départs se font plus tôt dans l’année, malgré des vents violents, une mer froide et agitée. Quand, avant, les bateaux partaient de Sangatte, à 37 km des côtes anglaises, on constate aujourd’hui que certains départs se font quasiment depuis la Baie de Somme, soit plus de 60 km à traverser dans des conditions extrêmement dangereuses. » Marguerite Combes, coordinatrice de l’antenne d’Utopia 56 à Calais.
La grande majorité des personnes rencontrées par nos équipes dans le Nord partagent le souhait de rester en France si les conditions d’un accueil digne étaient rassemblées. Cependant, la politique de dissuasion sciemment mise en place par l’État français à l’échelle nationale, l’application des renvois Dublin, les situations de vie à la rue et tous les types de violences institutionnelles auxquelles ces personnes font face les poussent à vouloir quitter le territoire à tout prix.
Le 14 avril 2022, Toujours dans le but de dissuader les personnes de chercher une protection, le Home Office a officialisé un accord de 144 millions d’euros entre Londres et Kigali pour le transfert des personnes exilées, d’où qu’elles viennent, arrivées par la Manche vers le Rwanda. Les premiers renvois devraient, selon le gouvernement britannique, avoir lieu à partir du 10 mai. Malgré une application rétroactive des renvois, 254 personnes ont traversé hier.
Alors que la seule résultante de ces politiques consiste à générer de l’errance, de la détresse et de la violence, nous appelons une fois encore à la mise en place d’un schéma d’accueil digne et de voies de passage sûres pour toutes celles et ceux qui recherchent une protection en France et en Europe.