« Il n’y a pas de problème de maintien de l’ordre et de policiers, c’est un problème de violences urbaines et de guérilla. » se défendait Gérald Darmanin le 5 avril dernier suite aux répressions violentes des manifestations dans toute la France. Pourtant, cette violence d’État est constatée à tous les échelons de pouvoirs à la frontière, d’autant plus qu’elle est commanditée, non seulement par le gouvernement français, mais également par le Royaume-Uni : 541 millions d’euros sur 3 ans. C’est le budget accordé à la France par le Royaume-Uni lors du 36e sommet franco-britannique pour “empêcher les traversées et augmenter le nombre de renvois des personnes en exil”. La signature de ces accords, le 10 mars dernier, intervenait dans un contexte où le Royaume-Uni annonçait à demi-mot la fin du droit d’asile. Néanmoins, avec 49 appels de détresse reçus depuis des embarcations en difficulté dans la Manche et plus de 1000 personnes rencontrées sur le littoral suite à des naufrages ou des tentatives de traversées ratées entre le 1er janvier 2023 et aujourd’hui, l’équipe d’Utopia 56 à la frontière constate non seulement l’inefficacité, mais aussi les violences générées par cette politique : harcèlement policier sur les personnes, entrave à l’action des associations et abandon des personnes trempées et en détresse sur le littoral. 

Dans le communiqué commun publié par les gouvernements suite au sommet, il est écrit : « 1 381 traversées, représentant 33 788 migrants irréguliers, évitées en 2022 ».

L’usage de la force est largement disproportionné lors de ces empêchements, les témoignages de personnes victimes de violence sont récurrents, par peur, peu d’entre elles sont enclines à saisir la justice.

Pourtant, en l’espace de 2 mois, Utopia 56 a saisi trois fois l’IGPN et la défenseure des Droits pour des faits de violence envers les personnes exilées ou les bénévoles de l’association dans le contexte des traversées de la Manche : les 8 février et 26 mars, deux bateaux ont été arrêtés au moyen de gaz lacrymogène et de coups portés sur les personnes, cet acharnement policier se modélise aussi à l’encontre des bénévoles par l’usage disproportionné des armes, à l’image du 4 avril dernier.

Cette violence se traduit aussi par la mise en danger et l’abandon des personnes après les traversées ou les tentatives de traversées. Suite à une demande de clarification à la préfecture d’Arras concernant les protocoles post-naufrage, l’équipe d’Utopia 56 Calais a reçu un courrier du préfet du Pas-de-Calais daté du 16 mars 2023 se targuant d’un “dispositif inédit et exceptionnel… pour permettre aux personnes naufragées, mouillées, choquées et souvent en limite d’hypothermie d’être réchauffées, changées et pour les plus fragiles d’être hébergées.” Selon leurs chiffres, sur l’année 2022, 3609 personnes ont été assistées dont 1030 mises à l’abri suite à des tentatives de traversées avortées ou à des naufrages dans le cadre de ce protocole, pourtant les chiffres du rapport d’activité 2022 de la Préfecture Maritime de la Manche et mer du Nord rapporte 8323 personnes exilées secourues par le Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage de Gris-Nez  dont 6600 ramenées dans les ports du Pas-De-Calais, soit au moins 85% des personnes laissées sans solution de mise à l’abri dans le seul département du 62 suite à des expériences traumatisantes.

Dans le département du Nord, au moins à 8 reprises en deux mois, ce sont les services de police qui ont appelé Utopia 56 Grande-Synthe pour venir en aide à des personnes en détresse en l’absence de solutions officielles.

Enfin, la mise en scène de la politique “zéro point de fixation” est l’expression même de cette violence, elle se traduit par un total de 1754 expulsions (Chiffres Human Rights Observer) de lieux de vie informels entre le Calaisis et le Dunkerquois en 2022, à chaque fois accompagnées de vol de tentes, couvertures et effets personnels par les forces de l’ordre. Au plus haut niveau, l’arsenal juridique et administratif déployé par les préfectures et le ministère de l’Intérieur démontrent un acharnement dans l’entrave du travail associatif et de l’accès aux droits fondamentaux des personnes : en octobre 2022, le tribunal administratif de Lille a fait annuler trois des arrêtés préfectoraux de septembre et octobre 2020 interdisant la distribution de nourriture dans certaines rues de Calais. En décembre 2022, c’est le ministère de l’Intérieur lui-même qui fera appel de la décision. 

L’ensemble de ces violences systémiques et orchestrées par le gouvernement français, avec le financement de l’État britannique, contribue à la mise en danger des personnes bloquées à la frontière, qui, en l’absence de voies sûres de passage et d’accueil digne, risquent leur vie et se tournent vers les réseaux parallèles dans l’espoir d’un avenir meilleur.