Peu connu des citoyen.ne.s européen.ne.s, le système Dublin est pourtant critiqué de toute part en Europe par les associations, les professionnel.le.s et les citoyen.ne.s engagé.e.s auprès des demandeur.se.s d’asile, ainsi que par certaines organisations internationales (UNHCR, Amnesty International, Human Rights Watch, …) depuis de nombreuses années.

Le règlement Dublin pose le principe selon lequel un.e demandeur.se d’asile ne peut faire qu’une seule demande d’asile dans l’espace Schengen, et ne peut pas choisir le pays où il ou elle demande l’asile. Le pays dans lequel il est autorisé à faire sa demande est appelé « l’État responsable ». Le règlement Dublin prévoit plusieurs critères pour déterminer cet État ; le critère le plus souvent utilisé est celui du premier pays d’entrée dans l’espace Schengen. La détermination de l’État responsable s’appuie sur l’utilisation du fichier Eurodac. Il s’agit d’une base de données européenne d’empreintes digitales. Ces empreintes sont prises et enregistrées au moment du dépôt d’une demande d’asile, ou lors d’un franchissement de frontière – souvent par la force ou la ruse dans ce second cas.

Cette détermination de l’état responsable justifie l’application d’une procédure au terme de laquelle un.e demandeur.se d’asile doit être transféré.e vers l’État responsable dans un délai de 6 mois. Pendant cette période, il peut être arrêté et transféré à tout moment par l’administration.

Exemples concrets :

  • Un Soudanais arrive en Italie après sa traversée de la Méditerranée. Ses empreintes y sont prises sous la contrainte ou par ruse, sans que rien ne lui soit expliqué des conséquences. Continuant son parcours migratoire, il arrive en France où il souhaite demander l’asile. Puisqu’il est « dubliné Italie », la France peut choisir de l’y renvoyer. Son expulsion vers le Soudan depuis l’Italie est alors probable, l’Italie déboutant massivement les Soudanais et ayant des accords avec Khartoum pour faciliter et grouper les expulsions.
  • En 2017, la France a demandé le transfert de plus de 37.000 exilé.e.s dubliné.e.s et effectivement expulsé 2.463 personnes vers d’autres pays européens, majoritairement vers l’Italie et l’Allemagne, allant à l’encontre de la volonté des exilé.e.s et engendrant des coûts administratifs démesurés. Au cours de la même période, la France a réadmis 1.482 exilé.e.s dubliné.e.s qui ne voulaient pas vivre en France ! Ce sont bien près de 4.000 personnes dont les choix de vie sont niés.

Les États n’ont pas l’obligation de dubliner. Ils peuvent choisir d’examiner les demandes d’asile de tout.e demandeur.se. Cette possibilité est prévue par la clause discrétionnaire, à l’article 17 du règlement. L’application de la procédure Dublin relève donc d’un choix délibéré des États de se décharger d’une partie de leurs demandeur.se.s d’asile vers les autres États, et non d’une application obligatoire du droit européen. Ce choix fait de l’Europe une zone dans lequel l’accueil n’est plus vraiment possible. Lorsque des personnes sont condamnées au ballotage administratif, à la non-prise en charge et à l’errance, les campements ne peuvent que se développer continuellement et avec le harcèlement policier comme seule réponse.

Cette application aveugle du règlement par les Etats européens ne fait que renforcer la dissuasion déjà forte de l’Europe forteresse, avec Frontex et le soutien financier à la Libye.

Pour aller plus loin :

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Pourquoi cette campagne et qui la porte ?

STOP DUBLIN Campaign est une initiative européenne de citoyen.ne.s solidaires engagé.e.s quotidiennement auprès des demandeur.se.s d’asile, portée en France par la Coordination Française du Droit d’Asile – CFDA, le Collectif pour une Nation Refuge – CNR, et les Etats Généraux des Migrations – EGM.

Utopia 56, membre du CNR et des EGM, fut un des premiers signataires.

Cette campagne contre Dublin est le fruit d’un constat d’impuissance face aux dérives de la procédure et de la généralisation de son application aux demandeur.se.s d’asile.

Soumis.es à cette procédure, les demandeur.se.s d’asile « dubliné.e.s » font face à une insécurité qui peut avoir des conséquences physiques et psychologiques sévères. Celles et ceux qui soutiennent les personnes dublinées sont témoins de situations de plus en plus fréquentes de détresse extrême et sont démuni.e.s face au durcissement législatif et institutionnel qui empêche les dubliné.e.s d’accéder à leurs droits.

Notre campagne porte une exigence claire : l’abrogation du règlement Dublin et demande aux député.e.s élu.e.s au parlement européen de s’exprimer sur la liberté de circulation, le choix du pays d’asile et l’absurdité de l’application de Dublin. Dans ce sens, de nombreuses mobilisations ont été organisées avant les élections européennes en France, en Belgique, en Espagne et à la frontière franco-italienne pour sensibiliser l’opinion publique sur ces questions et faire pression sur les décideur.se.s sur ce sujet crucial de Dublin.

Les préfet.e.s sont aussi visé.e.s par la campagne. Puisqu’ils/elles sont responsables localement de l’application du règlement Dublin et peuvent décider, selon la clause discrétionnaire, de ne pas l’appliquer, écrivons-leur pour le leur rappeler !

Que fait Utopia pour les dubliné.e.s ?

Une des valeurs les plus importantes de notre association Utopia 56 est le respect des choix de vie des exilé.e.s et de leurs projets. Le libre choix du pays d’accueil pour les demandeur.se.s d’asile est donc pour nous une évidence, pourtant un âpre combat.

Si nous offrons à tou.te.s une aide matérielle inconditionnelle, le mur administratif et institutionnel ne peut être ignoré en ce qu’il provoque directement les situations d’errance, de détresse et de rue, pour les hommes isolés mais aussi pour les couples, les femmes seules et les familles. En cela, l’accompagnement vers des professionnels du droit et l’accumulation de données permettant le plaidoyer sont des priorités selon nous pour faire évoluer les situations individuelles comme le contexte politique. Si ce dernier ne semble pas évoluer dans un sens positif vis-à-vis de la liberté de circulation, sans notre information et le travail des associations amies, beaucoup de dubliné.e.s resteraient dans l’ignorant des contraintes de Dublin mais aussi de leurs droits, risquant la rétention et l’expulsion même lorsque leur dossier est exploitable par un avocat.e.

Informer et orienter restent donc le nerf de la guerre. Le calcul des délais d’appel et de fuite ne peut être réalisées avec certitude que par un.e professionnel.le du droit qui aura accès au dossier de la préfecture. Ainsi, lors de nos maraudes ou de permanences d’accueil Utopia 56 (notamment à Calais, Lille et Paris), nous orientons les dubliné.e.s vers des permanences d’aide spécifiquement adaptées à leur situation particulière. Les délais d’obtention d’un statut sont souvent raccourcis grâce à notre action.