À Porte de la Villette au bord du canal de l’Ourcq, à peu près 150 hommes seuls survivent sous un pont dans des conditions indignes et sans aucune solution d’hébergement. Nous nous y rendons régulièrement la nuit afin de donner tentes, couvertures et vêtements pour les nouveaux arrivants de plus en plus nombreux chaque jour, mais aussi le soir afin d’orienter les personnes dans leurs démarches d’asile. Voilà notre témoignage d’une maraude assez intense mercredi 9 décembre.
Il est 20h15. Nous arrivons d’abord sous le pont Delphine-Seyrig dans le 19e arrondissement. Une quinzaine de personnes sont autour d’un feu. L’un deux nous interroge sur la procédure Dublin dans laquelle il est placé. Ce “Dublin”, cela veut dire qu’en Europe seul le premier pays de dépôt des empreintes doit être responsable de l’examen de la demande d’asile. Pour lui, il s’agit de l’Italie où la France cherchera à le transférer dès que celle-ci donnera son accord pour prendre en charge sa demande. Il nous montre des photos de son séjour en Italie en nous expliquant qu’il ne veut absolument pas y retourner et qu’il veut rester en France. Nous lui expliquons alors le choix auquel il sera confronté : accepter le transfert ou être placé en situation illégale en France pendant 18 mois… Dans tous les cas, il pourra se passer plusieurs années avant de pouvoir espérer avoir les papiers.
Nous rencontrons S, demandeur d’asile afghan, qui sera notre interprète une grande partie de la soirée. En Afghanistan, il était professeur d’anglais et nous a confié avoir été boxeur. Il a quitté son pays il y a cinq mois et souhaite rester en France. Plus tard dans la soirée, il nous montrera des photos de lui en Afghanistan, ainsi qu’une photo de son enfant, décédé ainsi que de sa compagne. Il semble bien s’entendre avec la plupart des gens avec qui nous parlons, et nous alerte à de nombreuses reprises sur la situation à “Pont Insta” : des nuits de plus en plus froides, pas d’eau potable pour se laver ou faire ses ablutions, pas de toilettes, des rats…