Ce lundi 20 janvier, le monde entier assiste à l’investiture de Donald Trump, 47ᵉ président des États-Unis, personnalité politique faisant office de tête de file de ce que certain·es chercheur·ses désignent d’ors et déjà comme une
internationale réactionnaire”.

Au premier rang de l’assemblée réunie pour cet événement, Elon Musk et Mark Zuckerberg, invités d’honneur de la cérémonie, témoignent leur soutien aux idées néo-fascistes du nouvel élu. À eux deux, ils possèdent la quasi-totalité des réseaux sociaux (X, anciennement Twitter, et Méta, maison mère de Facebook, Instagram et WhatsApp).

La plateforme TikTok, considérée comme le troisième réseau social le plus influent dans le monde occidental, a quant à elle affiché son soutien au président la veille de l’investiture, prise dans un bras de fer avec l’administration nord américaine, suite à l’interdiction du réseau sur son territoire.

Malheureusement, ces signes d’allégeance au programme de Donald Trump, et plus globalement à des idéologies libertariennes, autoritaires et masculinistes, ne se résument pas aux positions personnelles de ces chefs d’entreprises. Au contraire, leur vision politique impacte directement les usages et le fonctionnement de ces plateformes, qui sont les principales sources d’informations d’un grand nombre de citoyen·nes. Algorithmes biaisés, promotion des supports de désinformations, réduction de la modération, acceptation des discours haineux et discriminants… la liste des effets néfastes sur ces outils de communication est inquiétante et vertigineuse.

Face à cette réalité, de nombreuses organisations se sont réunies les dernières semaines, au travers d’une initiative intitulée #HelloQuitteX, visant à quitter collectivement X. Des discussions similaires apparaissent également ces derniers jours concernant Méta.

Utopia 56 soutient cette initiative, mais n’y participe pas pour le moment, pour les raisons suivantes:

 

1. Utopia 56 a un rôle de lanceuse d’alerte, lequel ne peut se faire sans ces plateformes de diffusion massive

Depuis 2015 et la création de l’association, nous n’avons cessé d’alerter sur les conditions de non-accueil des personnes exilées, que nous observons quotidiennement lors de nos actions de terrain. En rapportant nos observations, nos analyses et nos alertes, Utopia 56 ne se place pas uniquement en association d’aide d’urgence, mais aussi en actrice de la sensibilisation et de la mobilisation des citoyen·nes, afin de faire connaître ces situations et de les faire cesser. Cet engagement prend notamment lieu sur les réseaux sociaux, dont X, Instagram et Facebook.

En octobre 2024, Utopia 56 alerte en un tweet sur l’abandon à la rue par la ville de Paris d’une jeune fille présentant des risques suicidaires. Quelques heures plus tard, l’adjointe à la mairie de Paris nous informe avoir pris connaissance de notre alerte et avoir pris les dispositions pour mettre à l’abri cette jeune fille. Cet exemple à lui seul nous prouve l’importance de continuer notre rôle de lanceuse d’alerte. Sans X et la pression médiatique qu’il crée, cette jeune fille serait restée sans solution, et notre alerte sans réponse.

Par ailleurs, nous constatons que malgré une invisibilisation régulière de nos contenus par les algorithmes, nos communications réussissent encore à percer, permettant de mettre en lumière les graves dysfonctionnements de l’État. La seule lutte perdue est celle que l’on ne mène pas.

2. Nous ne pouvons sciemment décider de déserter le champ de bataille contre l’extrême droite.

L’utopie d’un réseau décentralisé et démocratique de l’information, genèse d’Internet, est morte dans l’œuf au lendemain de sa création. Les forces politiques réactionnaires et d’extrêmes droites ont été les premières à s’emparer de cet outil pour répandre leur propagande xénophobe, discriminante et nationaliste. Cela ne date pas d’hier.

En quittant les réseaux sociaux dits grand public, nous laisserions le champ libre aux influenceur·ses, aux politiques et militant·es d’extrême droite, pour imposer leurs éléments de langage et façonner encore plus l’opinion publique, au mépris des droits fondamentaux. C’est le concept d’hégémonie culturelle d’Antonio Gramsci, repris par Marion Maréchal, qui estime qu’avant d’être électoral, le combat doit être « métapolitique ». Alors que l’influence des nationalismes se fait plus inquiétante chaque jour, nous refusons d’abandonner ce terrain de lutte essentiel.

3. Si l’on quitte X, ne devrions-nous pas quitter Facebook, Instagram, WhatsApp, TikTok ?

L’initiative #HelloQuitX est née après l’annonce de la prise de poste d’Elon Musk au sein du gouvernement de Trump. Dans un premier temps, cette initiative nous a séduite : quitter un réseau largement décrié pour ses biais racistes, xénophobes et favorisants l’émergence de fake news, pour nous concentrer sur des réseaux plus justes, nous a évidemment semblé sain.

Mais les récentes annonces de Mark Zuckerberg, puis celle de l’entreprise TikTok le weekend dernier, ont fini de nous convaincre qu’aucune autre plateforme à forte audience n’était “avec nous”. Et nous le savions depuis des années : notre travail d’alerte dépend du bon vouloir de quelques milliardaires que tout oppose à nos valeurs. La tolérance de ces plateformes envers les propos discriminants, stigmatisants et violents existe depuis leur création, l’invisibilisation des luttes est constante et l’ingérence politique via ces canaux n’est pas nouvelle non plus.

À nos yeux, le problème se pose de la même façon qu’avec les médias français : comment continuer à lancer nos alertes et à informer le plus grand nombre, quand nos moyens de communication extérieurs sont possédés par Bernard Arnault, Vincent Bolloré, Xavier Niel ou Vincent Lagardère ?

Nous nous retrouvons alors devant un dilemme : rester ou partir.

Mais partir où ? Et en laissant qui derrière nous ?

4. Bluesky, Mastodon et le Fediverse ne constituent pas une alternative grand public

À ce jour, ni Bluesky ni l’écosystème Fediverse englobant Mastodon et PixelField ne possèdent suffisamment d’utilisateur·ices pour prétendre égaler la portée des géants du net. Cantonnés à un effet de bulle militante, migrer définitivement de ces plateformes mainstream vers ces réseaux alternatifs reviendrait à reproduire un entre-soi, lequel irait à l’encontre total de notre objectif de sensibilisation du grand public.

Rappelons-nous du récent exemple de la percée médiatique de Jordan Bardella sur Tiktok. Sur cette plateforme inexploitée par la gauche, le président du Rassemblement National a pu largement exercer son influence sur une frange de la population dont la principale source d’information est cette plateforme chinoise. En n’étant pas là où l’extrême droite se trouve, nous lui avons laissé le champ libre.

5. Nous soutenons néanmoins cette initiative, et nous multiplions notre présence sur différents réseaux.

Si nous soutenons toutes les initiatives visant à quitter les plateformes X et celles détenues par Méta, Utopia 56 continuera, pour le moment, d’y partager ses alertes et appels à mobilisation citoyenne.

Nous avons la conviction que notre présence y reste essentielle, conservant un impact significatif, notamment grâce à l’écho et au relais que nos publications suscitent, et ce, malgré les nombreuses dérives associées à ces outils et ce qu’ils représentent.

Dans l’attente de jours meilleurs ailleurs, nous continuons notre rôle de lanceur d’alerte, n’en déplaise au ministère de l’Intérieur et à l’ensemble de nos détracteur·ices. En attendant, nous réaffirmons notre engagement indéfectible aux côtés de toutes les personnes victimes de violences et de discriminations.

Il nous apparaît aujourd’hui crucial de continuer à défendre les valeurs que nous portons pour un accueil digne et solidaire et un respect inconditionnel des droits humains. Pour ce faire, nous continuerons de nous adresser au plus grand nombre, à tout·es celles et ceux qui n’en partiront pas, en restant sur ces plateformes toxiques.

Plutôt que de partir, nous faisons le choix de multiplier notre audience. Retrouvez-nous dès maintenant sur Bluesky.