Jeudi 23 janvier, se tenait la 8ᵉ édition de la “Nuit de la solidarité” organisée par la mairie de Paris. Si cette action de la maire a pour objectif de “recenser” les personnes à la rue et d’“identifier leurs besoins”, elle n’aboutit à aucune solution de mise à l’abri, et se résume donc à une opération de communication. De plus, ce comptage ne prend pas en compte les personnes hébergées par les associations comme Utopia 56, ni celles qui, le temps d’une nuit, bénéficient d’une solution d’hébergement temporaire. La nuit de la Solidarité sous-estime et minimise le réel, et participe à l’invisibilisation des différents publics à la rue.

 

Pour sortir de l’invisibilité, des familles à la rue que nous accompagnons, rassemblées au sein du collectif Lutte pour un logement durable, se sont rassemblées sur le parvis de la mairie du 19ᵉ arrondissement, afin d’être comptabilisées et de demander une mise à l’abri pérenne et digne.

Près de 150 personnes en familles et des soutiens étaient présents, alors que les équipes municipales commençaient un décompte dans les gymnases alentours. Plusieurs députés et journalistes nous ont rejoints dans la soirée. À quelques pas, le lycée Georges Brassens, vide et inutilisé, aurait pu être ouvert pour héberger toutes ces personnes. Ce dernier fait partie d’un ensemble de cinq lycées fermés définitivement, pour lesquels le 23 novembre 2023, la Région Île-de-France donnait son accord au Préfet de région en vue de la réquisition et la transformation en centres d’hébergement d’urgence de ces locaux. C’était il y a plus d’un an. Depuis, seuls trois d’entre eux ont permis d’assurer l’accueil de familles sans-abris.

 

Dès l’arrivée des premières familles devant la mairie du 19ᵉ, cinq camions de CRS ont été envoyés par la préfecture et les agents ont nassé le rassemblement (bien que cette technique soit interdite par le Conseil d’État depuis juin 2021). Beaucoup d’enfants étaient présents, des bébés de moins de 10 mois parfois, dans les bras ou dans les poussettes, mais aussi des enfants de 7-8 ans qui étaient à l’école quelques heures plus tôt.

Toute la soirée et toute la nuit, la mairie et la préfecture se sont renvoyées la balle. La mairie centrale s’est dit en attente d’un feu vert de la préfecture, quand cette dernière faisait la sourde oreille et refusait de négocier avec les délégués des familles et leurs soutiens citoyens et associatifs.

Leur seule réponse, envoyer des forces de l’ordre qui ont maintenu pendant 6h une nasse inhumaine, par des températures proches de 0°, confinant les familles à un bout de trottoir, à coups d’invectives et de violences physiques et verbales : 

  • interdiction des sorties de la nasse aux personnes souhaitant aller aux toilettes. C »est seulement après de nombreuses négociations, que les personnes ont finalement été autorisées, une par une, à s’y rendre. Les familles se sont entendu dire “interdit de pisser par terre ou de se pisser dessus, faut attendre“.
  • interdiction de distribuer de l’eau
  • distribution des couvertures uniquement aux enfants, alimentant la panique des familles, leur fatigue et leur épuisement.

Installées depuis 20h30, les familles ont dû attendre 3h du matin pour avoir accès à du matériel essentiel. Ces pratiques donnent à voir l’idée que se font les pouvoirs publics de la “solidarité”.

 

Après les menaces de dispersion par la force et de placement en garde à vue (à destination d’un membre d’Utopia 56), après de longues heures d’attente et de négociations, les familles ont finalement passé la nuit dehors faute d’autre solution proposée. Des bénévoles d’Utopia 56 se sont relayés jusqu’au lendemain midi pour assurer des distributions de nourriture, soutenir les familles et tenter d’établir un lien avec les acteurs responsables de la prise en charge de ces personnes.

La loi impose à la mairie la responsabilité de l’hébergement d’urgence pour de nombreux profils présents lors de cette manifestation, notamment les femmes enceintes et les familles avec des enfants de moins de 3 ans. Pour les autres, c’est théoriquement l’État, et donc la préfecture qui doit proposer des mises à l’abri.

Pourtant, aucune des deux institutions ne leur a apporté de réponse pendant plus de 16h, se renvoyant perpétuellement la responsabilité.

 

C’est seulement le lendemain vers 12h, constatant que le collectif ne se disperserait pas, et que la préfecture ne proposait rien, que la mairie de Paris a organisé une mise à l’abri pour la centaine de personnes toujours sur place. Rien n’a été proposé pour les familles qui s’étaient absentées, parties à des rendez-vous, au travail, à l’école, où dans des accueils de jour pour se reposer quelques heures, malgré nos envois des listes de recensement les jours passés et le soir du rassemblement.

Lors de notre permanence quotidienne quelques heures plus tard, nous avons rencontré 89 personnes, dont 37 enfants, en demande d’hébergement. La majorité d’entre elles étaient présentes au rassemblement, mais ont été exclues de la solution amenée par la mairie.

Dimanche soir, certaines de ces familles se sont rendues devant le gymnase de la mise à l’abri afin d’être hébergées elles aussi. Elles ont été renvoyées vers notre association par les acteurs de la ville.

 

Le droit à l’hébergement d’urgence est inscrit dans la loi. L’État continue pourtant de se déresponsabiliser en justifiant “qu’il ne serait pas possible de mettre tout le monde à l’abri.” C’est tout simplement faux. Ce n’est pas un manque de moyens, mais un manque de volonté politique.

À Paris comme ailleurs, il existe des réponses : on compte 3,1 millions de logements vides en France (dont 416 000 en Ile-de-France), et 9 millions de m2 de bureaux vacants (dont 5 millions en Île-de-France). Les lois pour réquisitionner ces espaces existent déjà, il ne reste qu’à décider de les appliquer.